Félix Streicher, prix franco-allemand en histoire de l'Institut Historique Allemand de Paris
Félix Streicher, ancien étudiant du master franco-allemand (EHESS-Université de Heidelberg) vient de se voir décerner par l'Institut Historique Allemand de Paris (IHA) le prix franco-allemand en histoire pour son mémoire de master, co-dirigé par Frank Engehausen (Heidelberg) et Julien Blanc (EHESS), et intitulé : « Le Luxembourg comme puissance occupante en Allemagne d’après-guerre : Une histoire du quotidien de la ville de garnison de Bitbourg (1945-1952) ».
- Comment résumeriez-vous votre mémoire en quelques lignes ?
Ma thèse porte sur un épisode historique méconnu : la participation du Luxembourg à l’occupation de l’Allemagne après 1945. Le premier objectif de mon mémoire, c’était donc tout simplement d’éclairer une tache aveugle sur la carte historiographique de l’Allemagne d’après-guerre. Mais surtout, je comptais me servir de la zone d’occupation luxembourgeoise comme une étude de cas pour mettre en application des courants méthodologiques innovateurs, tels que l’Alltagsgeschichte ou l’étude des espaces. L’aspect qui m’intéressait le plus dans mon sujet, ce n’était donc pas l’histoire militaire ou la « grande politique », mais les relations quotidiennes entre les occupants luxembourgeois et les occupé·e·s allemand·e·s. À travers le prisme de différents « espaces » (tels la rue, l’église ou l’espace privé) au sein de la ville de garnison de Bitburg, j’ai tenté d’explorer le rapport de force dynamique, complexe et souvent imprévisible qui caractérisait le quotidien de cette occupation luxembourgeoise.
- Pourquoi avoir choisi ce sujet de mémoire ?
Au cours de mes études, j’ai effectué un bénévolat au Musée National d’Histoire Militaire du Luxembourg. C’est dans les archives de cette institution que j’ai découvert en été 2016 un album de photos provenant d’un soldat luxembourgeois stationné en zone d’occupation luxembourgeoise en 1945/46. Si cet épisode de l’histoire luxembourgeoise ne m’était pas totalement inconnu, je me suis néanmoins rendu compte à ce moment que le sujet constitue un angle-mort au niveau de la documentation historiographique. Avec l’appui de l’actuel directeur du Musée National d’Histoire Militaire, Benoît Niederkorn, je me suis plongé dès ce moment dans des recherches plus approfondies, notamment en organisant un projet d’histoire orale avec des témoins d’époque. Dès le début, mon objectif était donc de reconstruire le quotidien de cette occupation, même si, à ce moment donné, je n’avais pas encore été initié aux approches méthodologiques de l’Alltagsgeschichte.
- Comment avez-vous effectué vos recherches ?
Ma thèse a su profiter d’un accès inédit aux archives internes de l’Armée luxembourgeoise, qui restent encore toujours fermées au grand public et qui par conséquent se présentent comme une véritable mine d’or pour une recherche sur l’occupation luxembourgeoise en Allemagne. Cependant, force est de constater qu’il est difficile, voire impossible d’écrire une histoire luxembourgeoise sur le seul fondement des sources émanant de fonds d’archives situés sur le territoire du Grand-Duché. En effet, les différentes sources sont largement dispersées au-delà des frontières du Grand-Duché. Ainsi, si un large corpus de sources internationales a été répertorié et évalué aux Archives nationales de Luxembourg, au Centre des Archives diplomatiques de La Courneuve, et au Musée National d’Histoire Militaire à Luxembourg, d’autres sources se trouvent aujourd’hui au Kreisarchiv Bitburg-Prüm ainsi qu’aux archives municipaux de la ville de Bitbourg. À ces sources s’ajoutent encore les quotidiens luxembourgeois conservés à la Bibliothèque nationale de Luxembourg et vingt entretiens enregistrés avec des témoins d’époque, ce qui a permis au présent travail de se baser sur un riche mélange de sources et d’écrire une histoire du quotidien tenant compte du pluralisme des points de vue « d’en haut » ainsi que « d’en bas ».
- Quelle suite donner à votre mémoire ?
Lors de mes visites aux archives, je me suis très vite rendu compte de l’ampleur des fonds d’archives, souvent inédites et dispersées à travers toute l’Europe. C’est donc assez tôt qu’est né l’espoir de pouvoir continuer mes recherches dans le cadre plus large d’un doctorat en Histoire. Grâce à un financement par le Fonds National de la Recherche du Luxembourg, j’ai pu intégrer le département d’Histoire de l’Université de Maastricht en janvier 2021, et j’y poursuis actuellement mes recherches sur la zone d’occupation luxembourgeoise en tant que PhD researcher sous la direction de Mathieu Segers et Camilo Erlichman. Alors que mon attention reste concentrée sur le même sujet, mon travail s’inscrit désormais dans l’objectif de présenter la première synthèse scientifique de la participation du Luxembourg à l’occupation à l’Allemagne, en mettant l’accent sur trois points essentiels, à savoir la politique d’occupation, les rencontres au quotidien et les relations du genre.
- Racontez-moi votre parcours
J’ai toujours été fasciné par l’Histoire. C’était donc difficilement imaginable pour moi d’entamer des études autres que celles des sciences historiques. Étant né et ayant grandi au Luxembourg, j’ai aussi voulu tirer profit de ma situation trilingue afin de réaliser des études supérieures dans différents pays. En 2015, je me suis donc tout d’abord inscrit en licence à l’Université de Heidelberg, puis en 2018 au Master franco-allemand EHESS-Heidelberg. Si j’ai reçu une excellente formation méthodique d’historien en Allemagne, c’est à l’EHESS que j’ai découvert l’histoire « vue d’en bas » et que j’ai été encouragé à m’investir dans l’Alltagsgeschichte et à déployer des perspectives pluridisciplinaires sur mon travail. En parallèle, j’ai toujours continué à travailler en tant que bénévole au Musée National d’Histoire Militaire au Luxembourg, où j’ai notamment contribué à deux expositions temporaires (en 2019 et en 2020). Je suis désormais doctorant à l’Université de Maastricht, où je poursuis mes recherches dans un cadre international hautement stimulant.
Crédit photo : Anouk Streicher
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