Armelle Faure, Prix Louis Castex 2021 de l’Académie Française
Armelle Faure a commencé ses études en DEA à l’EHESS (aujourd’hui Master 2), après un début à Sciences Po Paris, une licence d’histoire, une maitrise d’ethnologie, un DEA de cinéma avec Jean Rouch puis un doctorat en anthropologie à l’EHESS.
Ella a eu la chance de recevoir une très bonne formation africaniste, avec des professeurs parisiens que le monde entier enviait : « les grandes années françaises des sciences humaines et sociales ».
Actuellement anthropologue, elle travaille sur les liens entre les habitants, les territoires et les grandes infrastructures.
Elle reçoit aujourd’hui le prix Louis Castex, Histoire et Anthropologie, Prix de l'Académie Française 2021 pour son livre Révolution et Sorcellerie. Une ethnologue au Burkina Faso, aux éditions Elytis.
- Comment résumeriez-vous votre livre en quelques lignes ?
C’est le livre de mon premier terrain de jeune ethnologue (1982-1987). Je voulais à tout prix participer à cette révolution du Burkina Faso qui avait démarré sous mes yeux. Le Président Sankara représentait tout ce qui m’avait séduit dans les récits révolutionnaires : l’enthousiasme, la volonté de tout changer, le parti pris pour la jeunesse et les laissés-pour-compte, un côté romantique et la volonté d’aller « jusqu’au bout ». J’avais étudié les récits de la Révolution Française, rencontré des révolutionnaires d’Amérique latine, et écouté parler du Vietnam. Nous voulions vivre une vraie indépendance post-coloniale, dans laquelle toutes les nations souveraines auraient les mêmes droits comme dans la Charte des Nations-Unies et les mêmes valeurs solidaires. Nous ne savions pas que nous vivions les dernières années de la Guerre Froide. Nous voulions vivre « à fond », au jour le jour, pour partager les richesses entre les continents, entre les pays, et à l’intérieur des pays. Nous ne savions pas que nous allions quelques années plus tard entrer dans une autre « globalisation » et dans un autre monde, une économie néo-libérale bien loin de ces idéaux révolutionnaires des années 1970-80-90.
- Pourquoi avoir choisi ce sujet de recherches ?
Mon sujet de recherche pour ma thèse à l’EHESS n’était pas pré-déterminé lorsque je suis partie sur ce terrain. Mon directeur de thèse (Michel Izard, historien et anthropologue spécialiste de la Haute-Volta, CNRS et Laboratoire d’Anthropologie Sociale au temps de Cl. Lévi-Strauss) considérait que mon objet de recherches viendrait de mes expériences et qu’il n’avait pas à me l’imposer. C’était une chance pour moi. Néanmoins, le hasard a voulu que je m’installe dans des villages des « gens de la terre », complémentaires de ses travaux qui portaient sur les « gens du pouvoir ». Ces « gens de la terre » constituaient la boite inconnue de ses recherches, leurs quartiers étaient de simples numéros dans ses écrits. Les Bissa, cette ethnie qui était peu étudiée, avaient une organisation sociale dans laquelle le « monde des génies » et l’espace invisible prenaient une grande importance. Dans la légende, les Bissa et les Samo que Françoise Héritier avait étudiés étaient des cousins, avec beaucoup de traits sociétaux et de langage en commun, ainsi que certains rituels liés à l’espace. Les travaux de Maurice Godelier sur L’idéel et le matériel m’ont aidée à formaliser ma thèse sur « L’appropriation de l’espace ». J’étudiais l’espace matériel (les habitants en relation avec l’agriculture, la forêt, les terroirs) et ce qu’on appelle aujourd’hui « immatériel ». Ma thèse a été publiée, en ajoutant mes missions successives d’après le doctorat, sous le titre « Le Pays bissa avant le barrage de Bagré ». J’y ai aussi intégré les résultats de mon post-doctorat de la Fondation Fyssen sur les Sciences Cognitives, fait sur ce terrain.
- Comment avez-vous effectué vos recherches ?
Pour la thèse, j’ai passé tout mon temps sur le terrain, avec l’aide de collègues d’Izard, chercheurs à l’Institut de Recherche pour le Développement (IRD), au CNRS et à l’Université de Ouagadougou. Ils m’aidaient sur les problématiques, me conseillaient les auteurs à lire, les concepts à clarifier. Comme je n’avais pas eu le temps de demander des bourses, j’avais monté une ONG avec les paysans des villages où j’habitais. En 1984 il y avait eu une grande sécheresse au Sahel, et Action Internationale contre la Faim m’avait prise comme coordinatrice des activités dans les villages, dans tout le pays. Cela m’a donné une bonne expérience du développement, à 100 à l’heure, en pleine révolution ! Je le raconte dans ce livre, toutes les réformes, toutes les avancées sociales du Conseil National de la Révolution, tous les agissements des contre-révolutionnaires, de l’intérieur et de l’extérieur. Aujourd’hui nous suivons avec passion, 34 ans après, le procès des assassins de notre héros, le grand leader panafricain Thomas Sankara. Ce procès a démarré il y a un mois à Ouagadougou. Cela valait le coup d’attendre que justice se fasse ! Enfin.
- Quels sont vos prochains projets ?
Ensuite, je suis partie en international comme consultante. D’abord avec l’OCDE/Club du Sahel, puis avec les Nations-Unies/Banque Mondiale. J’ai travaillé sur le terrain, dans une vingtaine de pays d’Afrique, en Asie et à Madagascar. Ce livre, qui reçoit le Prix Louis Castex 2021 de l’Académie Française, est le 2° livre de ma trilogie post-coloniale. Le premier s’appelle Voyage à Diên-Biên Phu et traite de la Guerre d’Indochine. Le 3° volet parle de Madagascar, où j’étais experte en sciences humaines et sociales nommée sur le plus grand projet d’infrastructures, d’un milliard US$. Passionnant, et dramatique, hélas puisque le coup d’état de 2009 a plongé les populations dans une grande pauvreté. Actuellement je travaille en France sur la décentralisation et la construction des Métropoles intercommunales, et aussi sur les grands barrages et les vallées englouties. Toujours sur les liens entre les habitants, leurs représentants, et les territoires ! J’espère que l’esprit de solidarité et de partage universel que nous avions à l’époque de ce livre qui a été primé va revenir. J’espère très fort !
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