Retour aux actualités
Article suivant
Article précédent

Rencontre avec Caroll Maréchal, lauréate du prix de thèse 2022 de l'EHESS

Prix et récompenses

-

09/10/2023

Graphiste et docteure de l'EHESS en sciences de la société (Centre Maurice-Halbwachs - CMH - EHESS/CNRS/ENS/Inrae), Caroll Maréchal a reçu le prix de thèse 2022 de l'EHESS pour « Les collections de design graphique dans les institutions publiques en France. Histoire et pratiques », sous la direction de Valérie Tesnière. L’EHESS a également remis l'accessit du prix de thèse 2022 à Violaine Baraduc pour « Violences d’un autre genre : ethnographier les mémoires criminelles des prisonnières génocidaires du Rwanda », sous la codirection de Stéphane Audoin-Rouzeau et Jean-Paul Colleyn.

 

Comment résumeriez-vous votre thèse en quelques lignes ?

Ma thèse s’intéresse à la constitution récente de collections de design graphique dans différentes institutions patrimoniales françaises. Le terme design graphique renvoie ici à une activité de conception, relevant du champ artistique, qui consiste à choisir, organiser, hiérarchiser des éléments graphiques (typographies, formes, couleurs, photographies), combinant du texte et des images afin d’élaborer un objet de communication, imprimé ou numérique. Les champs d’intervention sont multiples allant de l’affiche à l’identité visuelle, en passant par l’édition, la signalétique, les sites internet ou encore le dessin de caractères typographiques.

Tout au long du XXe siècle, le graphisme est présent en France dans les collections publiques ou privées, le plus souvent en tant qu’art appliqué et industriel et/ou par le biais de l’affiche qui constitue un genre en soi. Les productions graphiques se retrouvent ainsi, bon gré mal gré, dans divers lieux tels que les bibliothèques, les musées, les archives ou les fonds, régional et national, d’art contemporain. Depuis les années 2010, différents musées conduisent une politique d’acquisition volontariste vis-à-vis du design graphique.

Des travaux récents s’étaient déjà intéressés aux enjeux des expositions de graphisme, mais jusqu’à présent les processus d’entrée et de traitement (classement et description) dans les collections publiques n’avaient pas fait l’objet de recherches. Or cette analyse permet de comprendre le sens de la patrimonialisation d’un secteur artistique longtemps délaissé à travers les interactions de pratiques professionnelles différentes, celles des graphistes et celles des lieux de conservation. 

 

Pourquoi avoir choisi ce sujet de thèse ?

C’est un sujet que j’explore depuis mes précédentes études en école d’art et qui trouve son origine dans un étonnement personnel en tant que graphiste de métier, à savoir celui de l’absence du design graphique dans les musées français en regard d’établissements étrangers qui, pour les plus emblématiques d’entre eux – le Museum of Modern Art (MoMA) de New York, le Stedelijk Museum d’Amsterdam, ou le Museum für Gestaltung de Zurich – l’ont intégré dans leur collection dès les années 1930.

Ma question initiale était donc de comprendre pourquoi à l’instar de ces exemples, n’y avait-il pas en France de collections de design graphique. Initialement, il s’agissait d’une étude comparative entre les collections françaises et étrangères. Il s’agissait de comprendre le positionnement du design graphique dans les collections publiques, et notamment la singularité du cas français éclairé par le prisme de collections étrangères, en analysant les acteurs et les pratiques, tout en questionnant l’objet même de collection, le processus d’institutionnalisation muséale, et les éventuels effets sur la profession. À l’issue de la première année du doctorat, j’ai recentré mon sujet sur le cas français. Les premiers dépouillements des archives d’institutions françaises montraient toute la richesse d’un sujet largement inexploré, le prisme du design graphique permettant de confronter des logiques de conservation entre différentes typologies de lieux : bibliothèques, archives, musées, centres d’art contemporain. En se focalisant sur ces pratiques, la recherche pouvait mettre en évidence combien elles étaient sous-tendues, de la fin du XIXe à aujourd’hui, par des représentations du domaine de la part des professionnels du patrimoine. La mise en place d’une Convention industrielle de formation par la recherche (Cifre) avec le Centre national des arts plastiques (Cnap) au cours de la deuxième année de thèse a également favorisé ce recentrage.

 

Comment avez-vous effectué vos recherches ?

L’étude, à la fois empirique et comparatiste, met en œuvre deux approches complémentaires : historique et anthropologique.

L’histoire comparée de plusieurs fonds de référence permet d’analyser et de comprendre l’entrée des objets de design graphique dans les collections publiques nationales et ce que cela sous-entend : ce qui fait collection ou pas d’un type d’institution à l’autre (musées, bibliothèques, archives, centres d’art contemporain), l’incidence des modes d’enrichissement (achats, dons ou commande publique), le choix de traitement à la pièce ou par ensemble, et au fond le statut problématique des objets dans les collections (œuvre ou document) selon que le point de vue privilégié est artistique ou documentaire. En s’appuyant sur un grand nombre d’entretiens avec les principaux acteurs (graphistes, conservateurs, personnalités politiques) et le dépouillement d’archives, cette histoire institutionnelle rend compte des tribulations des objets de design graphique dans les collections de la fin du XIXe siècle aux années 2010.

Une enquête de terrain a été conduite dans une perspective anthropologique. Elle permet d’analyser, d’une part, les pratiques professionnelles au moment où se constituent aujourd’hui les collections de design graphique, et d’autre part, les interactions en matière de légitimation patrimoniale entre producteurs et conservateurs. Elle porte sur plusieurs cas mais c’est le terrain particulier du Centre national des arts plastiques (Cnap) qui est développé dans la thèse. L’étude matérielle des pratiques d’acquisition et d’indexation en fonction de la nature des objets rassemblés autant qu’en fonction de la valeur qu’on leur attribue, est ainsi étayée par une analyse précise des gestes et des discours au cours des opérations de sélection et de gestion des fonds. En restituant le déroulé des opérations de collecte, d’ordonnancement et de catalogage, sont mises à jour les difficultés de nomination, de classement, de signalement et ce qu’elles signifient quant au statut mouvant des objets.

 

Quelle suite donner à votre thèse ?

Cette année, j’ai fait plusieurs communications auprès d’étudiant.es, d’enseignant.es et d’acteur.trices de la culture dans l’optique de partager les résultats de cette recherche. C’est une démarche qui se poursuit et que je souhaite prolonger avec des publications : une version remaniée de la thèse ainsi que des articles développant certains points.

Par ailleurs, cette thèse ouvre à de multiples pistes de recherches. Par exemple enquêter sur les pratiques mises en œuvres vis à vis du numérique par certains établissements (le MoMA à New York ou le Stedelijk Museum à Amsterdam). Une autre piste que je souhaite explorer, c’est l’atelier des graphistes et l’organisation de cet espace social. Une enquête au cœur de la pratique d’atelier du graphiste permettrait d’approfondir notamment le regard que les artistes portent sur leurs travaux et la manière dont ils organisent leurs « archives de travail », sujet esquissé dans la thèse mais qui n’a pas pu faire l’objet d’un développement.

 

Quel est votre parcours ?

Mon parcours est plutôt atypique au sens où je n’ai pas suivi une voie classique puisque j’ai d’abord une formation de graphiste. Après un Diplôme national d’arts plastiques (DNAP) en design à l’École supérieure d’art et de design (ESAD) de Reims, puis un Diplôme national supérieur d’expression plastique (DNSEP) en communication graphique à l’École supérieure des arts décoratifs de Strasbourg (aujourd’hui la HEAR), j’ai commencé à travailler en tant que graphiste indépendante. Lors de mon DNSEP qui s’intéressait déjà à des questions de collections et de mise en patrimoine du design graphique, les membres du jury m’avaient conseillé de poursuivre ces recherches en doctorat. C’est par une revue d’art contemporain en lien avec des étudiant.es et des enseignant.es de l’EHESS que j’ai découvert l’école et que je me suis inscrite en Master 2 Arts et langages sous la direction de Patricia Falguières, puis ensuite en Doctorat sous la direction de Valérie Tesnière.

Ces années à l’EHESS ont été très formatrices. J’y ai découvert des auteurs, des méthodologies, des théories que mes précédentes études ne m’avaient pas fait aborder. Cela a beaucoup enrichi des intuitions que j’avais sur mon sujet. Cette double formation a été extrêmement complémentaire et, je crois, nécessaire pour développer ce sujet de recherche. Il est grisant de voir de plus en plus de praticien.nes du design graphique s’engager dans ce type de recherches et de plus en plus de chercheur.euses s’intéresser à ce domaine. Cela augure de belles perspectives pour la recherche et pour l’histoire du design graphique !

J'aime
415 vues Visites
Partager sur
  • EHESS Alumni
  • thèse
  • doctorat
  • prix
Retours aux actualités

Commentaires0

Vous n'avez pas les droits pour lire ou ajouter un commentaire.

Articles suggérés

Raconte-moi ta thèse

Raconte-moi ta thèse #20 | Les conditions de la migration des personnes aux prises avec les conflits irakiens (2013-2022), par Juliette Duclos-Valois

SZ

Sarah-Yasmine Ziani

12 juillet

Prix et récompenses

Yael Dansac, accessit du prix de thèse 2023 du Suprême Conseil de France pour sa thèse sur le réinvestissement rituel des mégalithes dans le Morbihan

SZ

Sarah-Yasmine Ziani

10 juillet

Raconte-moi ta thèse

Raconte-moi ta thèse #19 | Les dispositifs de captation des consommateurs de musique, par Noé Latreille de Fozières

FS

Feriel Saadni

15 juin