Raconte-moi ta thèse #10 | Introduction de la réalité virtuelle (RV) et de la réalité augmentée (RA) dans la formation professionnelle : enjeux, apprentissages et mises en œuvre en situation de travail par Faustin Barbe
Faustin Barbe est titulaire d’une licence en sociologie de l’Université d’Aix-en-Provence, d’un Master en sociologie de l’EHESS, et d’un Master 2 Chargé d’étude et de recherche de l’Université Paris I.
Il est aujourd'hui doctorant en deuxième année à l’EHESS et au sein du département des sciences sociales d’Orange Labs Recherche. Son travail de thèse porte sur l’introduction de la réalité virtuelle dans la formation professionnelle.
La thèse que je réalise s’effectue dans le cadre d’une Convention Industrielle de Formation par la Recherche (CIFRE) entre l’EHESS et l’entreprise de télécommunication Orange, qui dispose de son propre département de sciences sociales : Orange Labs Recherche. Ma thèse, débutée en octobre 2020, fait suite à un stage de six mois que j’ai réalisé lors de Master 2 à l’Université Paris I, me permettant de poursuivre mes travaux de thèse sur la même thématique. Je travaille sous la direction de Bénédicte Zimmermann, directrice d’études, rattachée au Centre Georg Simmel.
Dans le cadre de ma thèse, je m’interroge sur l’introduction de la réalité virtuelle comme nouvelle modalité pédagogique de formation au sein d’un éventail déjà très large d’outils et de dispositifs pour la formation professionnelle continue. Les casques de réalité virtuelle sont en vente pour le grand public depuis la fin de l’année 2016. Si une forte démocratisation de cet équipement était attendue du côté des particuliers, ce sont in fine les entreprises, et surtout les grandes entreprises, qui ont investi dans cette technologie pour en faire une nouvelle modalité de formation pour leurs salariés.
C’est notamment le cas d’Orange, qui a introduit la réalité virtuelle à la fin de l’année 2019 dans le cadre d’une formation à la prise de parole en public. Cette formation se déroulait sur deux jours, en présentiel où la réalité virtuelle était utilisée par les apprenants pour réaliser un pitch dans un environnement virtuel réunissant un comité de direction virtuel de sept personnes. L’un de mes premiers terrains en interne chez Orange était donc d’étudier le déploiement de cette formation en lien avec l’introduction de la réalité virtuelle.
Cependant, la crise sanitaire liée à la Covid-19 est venue bousculer mon travail de thèse dans son intégralité dans la mesure où, du jour au lendemain, l’ensemble des formations dispensées en présentiel ont dû être arrêtées en raison des décisions gouvernementales. Les équipes, tant internes qu’externes, s’occupant de cette formation se sont chargées durant le premier, et surtout le second confinement, d’opérer une digitalisation totale du parcours de formation pour qu’il puisse être délivré à distance, incluant toujours un module de réalité virtuelle.
C’est ainsi que j’ai pu suivre, à distance, les premiers apprenants dans ce parcours entièrement digitalisé. Pour cela, j’ai pu assister aux sept classes virtuelles qui consistaient pour les apprenants à acquérir les bases théoriques du storytelling (apprendre à construire un discours de manière ludique). Puis, grâce au casque de réalité virtuelle que les apprenants ont reçu à leur domicile, ces derniers ont pu s’entraîner à la mise en pratique de cette méthodologie. À ce jour, j’ai pu suivre trois promotions d’apprenants ayant effectué ce nouveau parcours de formation digitalisé. En plus des observations des classes virtuelles, j’ai pu réaliser des entretiens semi-directifs avec les apprenants pour revenir avec eux sur le déroulement de la formation et sur l’usage de la réalité virtuelle.
Dispositif de réalité virtuelle utilisé dans une formation en présentiel sur le sexisme ordinaire en entreprise
Afin d’analyser les effets de la transformation du parcours de formation, et de l’introduction de la réalité virtuelle, mon cadre théorique de référence est celui pensé par l’économiste indien, Amartya Sen, à travers la théorie des capacités et des capabilités. En effet, A. Sen distingue d’une part la capacité (savoir-faire quelque chose), et d’autre part la capabilité (être en mesure de faire quelque chose). Ce glissement sémantique est important car il permet de décentrer le regard du chercheur, dans un contexte où la responsabilité est davantage mise sur l’individu, en s’intéressant à l’environnement dans lequel évolue ces apprenants. Les entretiens réalisés et leurs analyses, éclairés à l’aune de cette théorie, ont permis aux équipes de formation internes et externes d’améliorer à la fois le processus de formation (introduire un accompagnement à la prise en main du casque de réalité virtuelle) que le contenu de la brique immersive (introduire une variabilité des scénarios – amphithéâtre, pitch ascenseur).
Plus récemment, j’ai pu pénétrer sur un nouveau terrain, un tiers-lieu, qui mobilise une vaste palette d’outils digitaux, et notamment la réalité virtuelle. Ce lieu permet d’une part de faire découvrir des métiers (du numérique, de la santé, du BTP, de l’artisanat) aux usagers visitant le lieu, et d’autre part, de proposer à ces personnes – principalement éloignées de l’emploi, en décrochage scolaire ou en reconversion – une immersion professionnelle de quelques jours, ou encore une formation. Plusieurs interrogations me guident sur ce terrain : Comment ce lieu fonctionne-t-il concrètement ? Quels principes sous-tendent l’animation de ce tiers-lieu ? Quelle place les outils digitaux prennent dans cette découverte des métiers, et dans cet éveil à la vie professionnelle et à la formation ? Comment les bénéficiaires s’emparent de ces outils digitaux, et quelles influences ont-ils sur leurs pratiques concrètes ? Un ensemble de question auxquelles je tente de répondre avec une méthodologie qualitative, à la fois des observations directes dans le lieu et des entretiens réalisés avec les fondateurs, membres de l’équipe et les bénéficiaires de ce dispositif.
Au-delà de mon travail de thèse, je suis chargé d’enseignement à l’Université Paris I, où je dispense des cours en sociologie de l’éducation et de la formation professionnelle, ainsi qu’à l’Institut du travail social et de recherche sociale de Montrouge, où je donne des cours de méthodologie qualitative. Par ailleurs, je suis élu suppléant au Conseil de l’École Doctorale de l’EHESS au sein du collectif inter-laboratoires des doctorant.e.s de l’EHESS. Plus personnellement, je suis investi au sein de l’association Article 1, mobilisée pour l’égalité des chances et la réussite scolaire, où j’accompagne depuis plus d’un an une étudiante dans le déroulement de ses études supérieures.
Dispositif de réalité virtuelle à disposition des usagers pour découvrir différents métiers dans des secteurs variés
Pour aller plus loin :
ROBEYNS Ingrid, « The Capability Approach : a theoretical survey », Journal of Human Development, 2005, vol. 6, no 1, p. 93‑114.
SEN Amartya, « La possibilité du choix social », Revue de l’OFCE, 1999, no 170, p. 7‑61.
ZIMMERMANN Bénédicte, Ce que travailler veut dire. Une sociologie des capacités et des parcours professionnels., Esconomica., Paris, 2011, 233 p.
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