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Entretien avec Marie-Christine Saragosse, présidente de France Médias Monde

Et après ?

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03/04/2023

Marie-Christine Saragosse est présidente du groupe public d’audiovisuel France Médias Monde depuis 2012. France Médias Monde réunit la chaîne d’information continue France 24 (en français, en anglais, en arabe et en espagnol), la radio RFI (en français et quinze autres langues) et la radio en langue arabe Monte Carlo Doualiya (MCD). 
Diplômée de Sciences Po et de l'EHESS, elle revient sur ses années à l'EHESS qui lui ont été inspirantes, notamment par la rencontre des enseignants-chercheurs Marc Ferro et Luc Boltanski, mais aussi par l’étude du déterminisme social.  



Pourquoi l’EHESS ?

Jusque-là j’avais suivi un parcours tourné davantage vers les concours et l’activité directement opérationnelle (Sciences Po et première préparation ENA) que vers la recherche. J’avais envie de découvrir le travail universitaire. Certains noms d’enseignants me faisaient rêver : Pierre Bourdieu, Marc Ferro, Alain Touraine… Je savais que même si mon mémoire de recherche avait une visée a priori plus économique, « La troisième voie économique » (ni capitalisme, ni communisme mais coopératives ouvrières, autogestion … le tout en remontant jusqu’à l’économie du troc, la sédentarisation des humains, le Potlatch…) je pourrais me plonger dans l’histoire ou la sociologie. La dimension interdisciplinaire du parcours m’intéressait énormément. 

 

Rencontre avec des personnes inspirantes

J’ai surtout été inspirée par deux enseignants. Marc Ferro et son décorticage du film « Le 3eme homme » avec Orson Welles, adapté du roman éponyme de Graham Greene. Son analyse était décapante : ce film était une métaphore de l’incompréhension profonde des Américains pendant la seconde guerre mondiale face aux subtilités européennes… Dans son cours il y avait un doctorant israélien brillantissime qui lui parlait sur un pied d’égalité, osait remettre en cause ses analyses. Pour moi qui étais un pur produit du système des grandes écoles françaises où on apprend à ne jamais dire « je » dans une dissertation, c’était une révélation ! Ne pas se soumettre a priori sans condition au savoir de celui qui est censé vous enseigner, penser par soi-même, être éventuellement rebelle par rapport à la pensée communément admise faisait donc partie intégrante de l’accès au savoir, à la compréhension du monde qui nous entoure et à la recherche de solutions…

Et j’ai découvert la sociologie avec Luc Boltanski qui à l’époque faisait partie de l’équipe de Pierre Bourdieu. Il avait travaillé sur les cadres et s’intéressait avec ses étudiants à une sorte de folie ordinaire ; celle qui faisait inscrire sur les murs « j’emmerde le gouvernement » ou écrire de longues lettres anonymes d’insultes aux médias (alors essentiellement publics). Sans le savoir nous travaillions en quelque sorte déjà, au siècle dernier, sur les ressorts qui animent les réseaux sociaux ! La sociologie m’a déstabilisée : je croyais être libre, décider de mes actions et voilà qu’on voulait me faire croire que j’étais le produit du déterminisme de ma position sociale … je me souviens m’être mise en colère, m’être indignée de la disparition de tout hasard, de toute force de la volonté dans mes choix, de tout libre arbitre et au fond de toute poésie dans l’existence… J’ai fini par adopter la posture bourdieusienne de « l’outsider » qui concilie déterminisme et liberté… ou mouvement en tout cas.


« je me demande parfois si j’ai fini par faire ce à quoi j’étais destinée (un pied dans les programmes, un pied dans la gestion d’un grand groupe) ou si je n’ai pas réussi à choisir mon camp ! »

 

Mon métier et l’EHESS

J’ai finalement repris le chemin de l’ENA après mon passage à l’EHESS. Mais j’avais appris à dire « je », à résister et à prendre la position de celui qui a « un pied dedans et un pied dehors » (l’outsider), de celui qui fait le lien entre géomètres et saltimbanques, entre acteurs opérationnels et chercheurs/penseurs… Évidemment c’est une posture qui peut engendrer des arrachements ligamentaires… surtout si on a un poste de géomètre alors qu’on préfèrerait être saltimbanque ! En étant PDG d’un groupe de médias internationaux dont les équipes, qui parlent 20 langues et sont issues de 60 nationalités, créent tout ce qui est diffusé sur les antennes radio et télé, et dans l’univers numérique, je me demande parfois si j’ai fini par faire ce à quoi j’étais destinée (un pied dans les programmes, un pied dans la gestion d’un grand groupe) ou si je n’ai pas réussi à choisir mon camp ! 




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