Yael Dansac, accessit du prix de thèse 2023 du Suprême Conseil de France pour sa thèse sur le réinvestissement rituel des mégalithes dans le Morbihan
Yael Dansac, docteure en Anthropologie Sociale et Ethnologie de l’EHESS, a reçu l’accessit du prix de thèse du Suprême Conseil de France pour sa thèse « Anthropologie des pratiques spirituelles contemporaines : le cas du réinvestissement rituel des mégalithes dans le Morbihan », sous la direction de Michèle Coquet (IMAF, EHESS-CNRS). Dans le cadre de cette distinction, Yael Dansac répond à quelques questions.
Comment résumeriez-vous votre thèse en quelques lignes ?
Ma thèse porte sur un aspect important, mais encore peu étudié, des phénomènes rituels dans le Morbihan, en Bretagne : les pratiques inspirées des mouvances New Age et néopaïennes qui s’articulent aujourd’hui autour d’un pôle majeur que je nomme le « réinvestissement rituel des mégalithes ». Ce terme désigne l’ensemble des pratiques visant à l’acquisition d’un état affectif somatiquement identifiable qui est attribué aux « énergies » prêtées aux mégalithes locaux. En mobilisant les données ethnographiques recueillies dans vingt courts séjours collectifs, les discours des participants, une bibliographie congruente et des éléments de mon vécu personnel au sein des pratiques analysées, je m’attache à situer ces pratiques ritualisées par rapports à diverses traditions culturelles locales et globalisées, à saisir la spécificité de personnes qui y prennent part, à cerner le contenu de leurs expériences, à préciser les principes qui organisent ces rencontres, et à identifier les rôles que les pratiquants attribuent à leur corps.
Ma thèse apparaît riche en détails et traite à juste titre de l’histoire locale, qui montre qu’il existe en Bretagne et dans le département du Morbihan une tradition consolidée qui, au fil des siècles, a tourné autour du culte des mégalithes. En démêlant l’histoire régionale et en analysant l’émergence et la consolidation d’un marché « spirituel » local, je montre comment le culte autour de ces monuments préhistoriques a évolué au fil de temps en un protocole ritualisé qui permet aux pratiquants d’éprouver des expériences de nature « spirituelle » qui se manifestent de manière somatique.
Pourquoi avoir choisi ce sujet de thèse ?
Mon parcours académique m’a amenée à m’intéresser depuis vingt ans aux usages dits « alternatifs » concernant les sites archéologiques. Il s’agit de pratiques et de systèmes de pensée relatifs aux vestiges du passé qui se nourrissent de notions formulées en dehors de l’hégémonie épistémique occidentale. Des pratiques comme celles que j’ai analysées dans ma thèse mettent en évidence la multiplicité d’idées, de significations et de fonctions que les sociétés contemporaines occidentales peuvent attribuer aux sites archéologiques. J’ai choisi également ce sujet car j’ai une passion, toute personnelle, pour les sites archéologiques et les imaginaires que ces espaces anciens suscitent dans les sociétés contemporaines. En tant que lieux d’anciens cultes, berceaux de mythes et de contes, ainsi qu’espaces sacralisés, les sites archéologiques sont des objets qui font émerger, parmi certains, des émotions intenses et des expériences extraordinaires. Finalement, ma thèse a été animée par la volonté de montrer que le New Age et le néopaganisme sont des objets de recherche qui peuvent se prêter à des traitements conceptuels, ainsi qu’être dignes d’une problématisation anthropologique. En France, l’exploration anthropologique de ces phénomènes rituels a commencé tardivement. En tant qu’objets de recherche, les pratiques spirituelles holistiques n’ont pas été considérées au même niveau que ceux étudiés dès le XIXe siècle par les anthropologues français dans les terrains exotiques et lointains. Ce retard peut également relever de la hiérarchisation des terrains en fonction de leur « pureté » ou de leur « altérité ». Ma thèse a contesté ce genre de préjugés.
« Mon enquête doctorale a été caractérisée par des allers-retours constants entre la Bretagne, l’Irlande et le Royaume-Uni. »
Comment avez-vous effectué vos recherches ?
En 2015, je me suis rendue pour la première fois dans le Morbihan pour assister à la rencontre de personnes se livrant à des pratiques spirituelles parmi les mégalithes locaux. Inspirée par cette première expérience, de 2015 à 2019, j’ai effectué des observations participantes et des entretiens au sein de vingt rencontres similaires. En privilégiant la collecte de données relatives aux expériences somatiques, j’ai employé deux méthodes développées par l’ethnographie sensorielle. L’entretien somatique consistait à poser des questions aux participants sur la manière d’exécuter un mouvement corporel, puis à suivre leurs indications pendant qu’ils me supervisaient en train de l’exécuter. J’ai effectué aussi des « sensations participantes », lesquelles consistaient à utiliser ma propre expérience sensorielle et corporelle comme outil d’analyse. Étant donné que les pratiques analysées puisent fortement dans des imaginaires celtiques et néo-druidiques, mon enquête doctorale a été caractérisée par des allers-retours constants entre la Bretagne, l’Irlande et le Royaume-Uni. Une seule expérience de terrain a été effectuée à l’étranger en 2017 pour observer les cérémonies du solstice d’été à Stonehenge. La collecte de données documentaires a commencé au Centre de Recherche Bretonne et Celtique de l’Université de Bretagne Occidentale, puis a continué à la Société Polymathique du Morbihan où se trouve une large collection de manuscrits à propos des pratiques païennes locales. Pour consulter les échanges épistolaires de celtomanes bretons, irlandais et anglais du XVIIIe, je me suis rendue aux archives de l’University College Cork et de l’University College London.
Quelle suite donner à votre thèse ?
Pour l’heure, je continue à diffuser les résultats de ma thèse à travers des articles de recherche et des interventions, en France comme à l’étranger, pour les soumettre à discussion. Le mois dernier, j’ai soumis une proposition d’ouvrage issue de ma thèse aux éditions d’une université bretonne. Les apports de mon enquête doctorale continuent d'attirer l’attention d’autres chercheurs en donnant lieu à des nombreuses collaborations. Mon analyse sur les interactions ritualisées entre participants humains et non-humains au sein des pratiques examinées a fait l’objet d’un chapitre dans l’ouvrage intitulé « Relating with More-than-Humans : Interbeing Rituality in a Living World », apparu en 2023. Mon enquête sur les rôles accordés au corps au sein des pratiques abordées m’a permis d’élaborer un modèle pour systématiser le traitement de données concernant les expériences somatiques qui sera exposé dans le « Routledge Handbook of Ritual Creativity », à apparaitre en 2024. Au-delà des publications, les interventions portant sur ma thèse se sont également multipliées. Pour donner qu’un exemple, en mai 2023 j’ai été accueillie par le centre d’étude du religieux de l’Université de Harvard pour présenter une conférence sur mes recherches, y compris celles développées dans le Morbihan. Les apports de ma thèse m’ont valu l’attribution d’une bourse de recherche postdoctorale CIVIS3i-Marie Curie, qui m’a permis de continuer mes recherches sur les processus de sacralisation contemporaines des mégalithes, cette fois en mettant en place une enquête ethnographique comparative en Belgique et en Écosse.
Racontez-moi votre parcours
Attirée dans un premier temps par l’archéologie, j’ai complété une licence dans ce domaine à l’École Nationale d’Anthropologie et d’Histoire à Mexico. Pendant mes études, j’ai travaillé dans de fouilles archéologiques menées auprès de communautés rurales. Ces expériences ont modifié mon regard sur les relations identitaires et religieuses que les sociétés contemporaines établissaient avec les vestiges précolombiens. Ces observations m’ont encouragée à m’orienter vers l’anthropologie, en intégrant un master dédié à l’Université de Guadalajara. Mon mémoire consistait en une étude ethnographique consacrée aux connaissances locales portant sur le site précolombien de Guachimontones, à l’ouest du Mexique. Une fois obtenu mon diplôme de master en anthropologie, j’ai travaillé un an en tant qu’assistante de recherche dans le Centre de Recherche et d’Études Supérieures en Anthropologie Sociale de l’Occident du Mexique. Dans cette institution, j’ai découvert les travaux des spécialistes des spiritualités contemporaines et j’ai commencé à réfléchir à une thèse entièrement consacrée aux pratiques rituelles qui pouvaient être observées sur un site archéologique. Je suis venue en France en 2013 dans l’objectif d’y réaliser mon doctorat à l’EHESS sous la direction de Daniel Fabre, puis, à la suite de la disparition de ce dernier, sous la direction de Michèle Coquet. J’ai soutenu ma thèse en janvier 2022, et à peine quelques mois après, j’ai été lauréate d’une bourse postdoctorale CIVIS3i-Marie Curie. À l’heure, je suis chercheuse affiliée au Centre interdisciplinaire d'étude des religions et de la laïcité de l’Université Libre de Bruxelles, et prochainement je réaliserai un séjour de recherche à l’Université de Glasgow.
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