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Raconte moi ta thèse #9 | Vêtements et identité chez les jeunes sénégalais impliqués dans des processus de migration du Sénégal à Paris par Carolina Duran

Raconte-moi ta thèse

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03/05/2022

Carolina Duran est photographe et anthropologue. Actuellement doctorante en anthropologie (IMAF/EHESS) sous la direction de Kadya Tall, en cotutelle avec le doctorat en études migratoires (Universidad de Granada) sous la direction de Javier García Castaño.

Ses recherches en anthropologie se concentrent sur le rapport à l'identité via les représentations de soi et les relations au groupe, à travers le vêtement et les éléments esthétiques, ainsi que les processus de migrations entre l'Afrique et l'Europe. 


Mon projet de thèse est né des résultats obtenus d'un premier travail de recherche auprès de jeunes migrants d'origine sénégalaise dans la ville de Barcelone dans le cadre du projet de fin d'études du master en anthropologie, projet intitulé : « Du Sénégal à Barcelone ». Ce projet de recherche était basé sur la compréhension de l'importance du vêtement parmi les jeunes Sénégalais dans les espaces publics de la ville de Barcelone.

En 2015, je me suis rendue en Espagne pour suivre une formation de master en diversité culturelle à Melilla. Lors de mon séjour à Melilla, j'ai commencé à m'intéresser aux migrations depuis l'Afrique vers l'Europe, du fait de la particularité de cette ville espagnole, située au nord du Maroc, porte d’entrée entre deux continents, régulée par la célèbre clôture de Melilla. Là, j'ai commencé à observer, parmi les jeunes subsahariens, le grand intérêt qu'ils portaient à la façon de s'habiller et de mettre des chaussures de marques sportives très connues. En réalisant un travail de terrain avec les jeunes migrants, frappée par leurs récits difficiles et parfois tragiques du parcours migratoire, je me suis intéressée à la manière dont les jeunes d'Afrique subsaharienne semblaient voir le fruit de leurs efforts lorsqu'ils commençaient à percevoir des revenus provenant des allocations pour demandeurs d'asile et à faire des achats dans des magasins de vêtements, à la priorité qu'ils accordaient à ces achats et au bonheur que cela leur donnait.

De plus en plus impliquée dans la question des migrations, j'ai décidé de suivre une sorte de route migratoire dans le sens inverse, entre la ville de Melilla et le sud du Maroc, en m'arrêtant à des points clés de concentration de certains voyageurs subsahariens qui souhaitent traverser la frontière de Melilla pour entrer en Europe. Ce voyage m'a permis de connaître d'autres aspects de la migration et les raisons de prendre la décision de migrer en Europe.

Plus tard, je suis allé à Barcelone pour faire mon master en anthropologie. Au cours de mes études, j'ai commencé des recherches sur l'identité et l'habillement de jeunes Sénégalais. Pour cette recherche j'ai sélectionné les jeunes du Sénégal parce qu'ils sont une communauté notable dans la ville de Barcelone en tant que vendeurs ambulants appelés « manteros ».

Cette recherche a fourni des données très intéressantes sur le vêtement et sa fonction sociale. C’est ce qui a suscité le besoin de poursuivre ma recherche sur la sensibilité esthétique des jeunes Africains, les questions identitaires et le lien — insoupçonné – qui pourrait exister avec les migrations entre l'Afrique et l'Europe, et d'entreprendre sur ce sujet la rédaction d'une thèse de doctorat.

L'objectif de cette recherche doctorale est d’analyser l'importance que les Sénégalais attachent à l'habillement et comment cela affecte d'une certaine manière la migration de l'Afrique vers l'Europe, d’une part pour ceux qui souhaitent immigrer, attirés par l’acquisition d’une certaine apparence à travers le vêtement, et vice versa, comment les immigrants déjà en Europe influencent l'intérêt pour un style ou une marque de vêtements chez ceux qui les regardent depuis leur lieu d'origine.



Afin d'atteindre l'objectif, je prends en compte les aspects sociaux, culturels et symboliques du vêtements et de la décoration du corps humain en Afrique ; l’empreinte de la colonisation dans le façonnage de la mise en scène du corps ; le rôle de la manière de s'habiller pour les jeunes subsahariens et leur groupe social ; les systèmes vestimentaires et de représentation de soi, de communication et de stratification créés dans les espaces sociaux basés sur des codes esthétiques de groupe parmi les jeunes subsahariens dans leur lieu d'origine et de destination. J'analyse tout cela en tenant compte des aspects de la mondialisation et de sa participation à la circulation et à la transformation des codes esthétiques entre les deux continents, ainsi qu'à la construction de nouveaux modèles d'identité ; toujours dans une perspective de genre (entre le masculin et le féminin) présente.



Le travail ethnographique et l'observation participante sont les techniques prédominantes pour la collecte des données dans cette recherche, et j'utilise la photographie et mon expérience de photographe comme un outil de documentation.

Au milieu de l'année dernière, j'ai commencé mon travail de terrain dans la ville de Paris, qui fait partie du contexte principal en tant que lieu de destination, puis, au cours du développement de la thèse, j'effectuerai des recherches dans la ville de Rome et dans la ville de Barcelone, afin de réaliser une analyse comparative entre les trois villes et de contraster ainsi les données sur les aspects identitaires liés au vêtement chez les Sénégalais dans ces lieux de destination migratoire. A Paris, j'ai déjà défini une carte de travail délimitée entre la Gare de Nord, la Gare de l'Est, Château Rouge, le Boulevard Magenta et les Halles. Ce sont des zones de concentration de jeunes et d'adultes d'origine sénégalaise.

Au lieu d'origine, Dakar est la principale ville de contexte pour la collecte de données dans le développement de cette recherche, avec quelques études de comparaison à St Louis et à Tambacounda, des villes diverses au Sénégal.

Entre octobre et décembre de l'année dernière, j'ai commencé mon travail de terrain au Sénégal, où j'ai pu apprécier l'importance du vêtement dans la culture sénégalaise, la valeur du costume et de ce que l’on donne à voir de soi par ce biais. Ce sont les femmes en particulier qui façonnent l'esthétique des rues de Dakar ou de toute ville au Sénégal, sans que les hommes se désintéressent des vêtements qu'ils portent, qu'il s'agisse d'un boubou (costume traditionnel religieux) ou de vêtements modernes. Les couleurs, les textiles, les contrastes et les accessoires corporels décoratifs, qui attirent souvent le regard, font partie de l'identification des rituels, des cérémonies et des festivités.



En ce qui concerne la migration depuis le lieu d'origine, il est également important de noter que l'intention de migrer est très présente pour toute une génération, la migration vers l'Europe est une question qui fait partie de la vie quotidienne des Sénégalais, avec la France comme principale destination et Paris comme destination la plus souhaitée. Le fait d'avoir un membre immigré de sa famille en Europe a une connotation sociale très positive parmi les parents et amis du lieu d'origine, tout en étant une cause de fierté et en représentant des contributions économiques pour les membres de la famille. Pour cette raison, il existe un désir collectif de migration et une idée d'enrichissement économique assuré en arrivant en Europe.

Les sénégalais enquêtés ont rapporté un niveau élevé d'appartenance à un groupe, ainsi que la corrélation avec les codes acceptés et suivis par l'ensemble de leur communauté. Et cela est lié à leur mode d'organisation sociale, où ils établissent des liens très forts avec le collectif, notamment la famille. Malgré tout, ils se soucient beaucoup de la distinction du statut personnel et l’ostentation du succès. En tout cas, les nouvelles générations expriment un besoin de réussite et de fierté africaine. Les vêtements deviennent le premier élément réfléchissant ce succès (suivis par la voiture et la maison).

La recherche menée jusqu'à présent a donc montré comment les Sénégalais façonnent leur propre style d'africanité à travers les couleurs et les formes, en l'adaptant aux modèles mondiaux modernes, ce qui dénote leur intérêt pour la représentation symbolique de l'apparence extérieure et la communication par la corporéité. Il s’agit d’un style à part entière, qui génère ses propres codes de représentation et ses intérêts symboliques, et dans lequel la centralité du corps habillé et décoré pour construire et projeter une identité est clairement définie. Ce sont principalement les couleurs et les marques combinées qui tracent la particularité, ainsi que l'élégance et le style lorsque l'on parle de groupes spécifiques.


 © photos prises par Caroline Duran

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