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Raconte-moi ta thèse #13 | Ce que le matrimoine fait au patrimoine : la reconnaissance de nouveaux usages par Alexandra Mallah

Raconte-moi ta thèse

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06/10/2022

Alexandra Mallah est doctorante à Géographie-cités (CNRS, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, Université Paris Cité et École des Hautes Études en Sciences Sociales).

Sa thèse porte sur les formes de représentations de la mémoire des femmes dans l’espace public parisien et s’intitule « Ce que le matrimoine fait au patrimoine : la reconnaissance de nouveaux usages ».

 

 

Le déséquilibre de représentation entre la mémoire féminine et masculine est souvent utilisé pour introduire les ouvrages consacrés aux questions de genre dans l’espace public. Cependant, mise à part cette entrée, les écrits s’orientent généralement ensuite sur la présence physique des femmes et minorités de genre dans la ville. Les enjeux relatifs à la mémoire des genres ne sont que peu traités à part entière. Mon sujet de recherche a été motivé par ce constat et cette curiosité : comment penser les inégalités de genre dans l’espace public au prisme de la mémoire ?

Depuis le début des années 2010, de nombreuses enquêtes quantitatives cherchant à mesurer la représentation de la mémoire des femmes dans les villes ont vu le jour à travers le monde. En 2012, l’association Toponimasica Femminile révèle que seuls 3% à 5% des rues italiennes portent le nom de femmes. En 2014, l’ONG Union Française Soroptimist montre qu’en France, 94% des plaques de rues ou de lieux publics mettant des personnalités à l’honneur sont dédiés à des hommes. En 2021, à Londres, 4% des statues représentent des personnalités féminines, le double est consacré à des animaux. Ces exemples montrent que le patrimoine urbain se nourrit d’une histoire écrite et promulguée par et pour les hommes : il est essentiellement masculin. Or, cette occultation de l’histoire des femmes qui a longtemps limité l’enrichissement et l’ouverture de notre mémoire commune est en train de se réduire. Dans les villes d’occident, de nombreuses initiatives de féminisation de l’espace urbain voient le jour depuis une dizaine d’années. Ma recherche vise donc à identifier, comprendre et mesurer les stratégies de visibilisation de la mémoire féminine dans Paris, ainsi que leur impact sur les processus de patrimonialisation au cœur de la fabrique de la ville.

 

Mes objets de recherche appartiennent à différents registres d’action : de l’action publique de la Mairie de Paris, aux interventions militantes informelles du mouvement féministe Collages Féminicides Paris (CFP).

Le premier de ces objets est le nom de rue. L’intérêt des odonymes par rapport aux autres monuments urbains tels que les plaques commémoratives ou les statues est que leur fonction symbolique se double d’une fonction de repérage dans la ville. Ils sont nécessaires et se déploient dans toute la ville par le biais des plaques de rues. Ces dernières, objet du quotidien, se fondent dans le paysage urbain : le promeneur·euse ne les remarquent pas, elles permettent dès lors l’infiltration d’un imaginaire dans les consciences. Les odonymes sont l’objet le plus fréquemment utilisé lorsqu’il s’agit de pointer du doigt le déséquilibre de représentation entre la présence symbolique masculine et féminine dans la ville. En toute logique, c’est donc le premier objet qui a été investi par la Mairie de Paris lorsqu’il a été question de corriger l’écart entre le nombre d’odonymes féminins et masculins. Depuis 2001, la Ville de Paris a instauré une politique volontariste de féminisation de la capitale. En vingt ans, le pourcentage de noms de voies et espaces verts dédiés à des personnalités féminines est ainsi passé de 3% à 8%. Cette politique s’est accélérée à partir de 2014 : durant le mandat municipal 2014-2019, 58% des voies baptisées l’ont été d’après des femmes. Le déséquilibre entre le nombre d’odonymes féminins et masculins est cependant trop important pour pouvoir être un jour corrigé, d’autant plus si l’on considère le fait que l’espace urbain parisien ne se transforme que peu. Face à cette réalité, la Mairie a progressivement investi d’autres champs pour visibiliser l’héritage des femmes. Les équipements publics, les plaques commémoratives, les noms de stations de transports en commun, et, dans une moindre mesure, la statuaire de la ville rendent ainsi hommage à de plus en plus de femmes historiques. Bien qu’aucun de ces objets ne puisse féminiser la ville de manière aussi importante et efficace que les noms de rues, la conjonction de tous ces champs d’action joue un rôle dans l’imaginaire collectif, l’objectif étant de visibiliser des créatrices du passé pour mettre en valeur des modèles féminins.

 

                                                       

 

 Dans un second temps, l’analyse des collages contre les féminicides, réalisés par le mouvement Collages Féminicides Paris (CFP), permet de déplacer le regard de l’action institutionnelle au registre des mouvements sociaux et de s’affranchir des contraintes règlementaires auxquelles la Mairie de Paris doit obéir dans le cadre de sa politique volontariste, ce qui donne potentiellement une plus grande ampleur au phénomène. À l’origine, les collages aux lettres noires sur feuilles blanches prennent la forme de mémoriaux éphémères honorant des victimes de féminicides : on peut lire leur prénom ainsi que la date et le contexte de leur mort. Ils commémorent donc des femmes ordinaires, public majoritairement laissé de côté par les odonymes valorisant les « grandes femmes » de l’histoire. En outre, chaque année depuis sa création, début janvier, CFP fabrique un mémorial commémorant toutes les victimes de féminicides de l’année qui vient de s’achever. Ce mémorial éphémère donne à voir pendant plusieurs jours, voire quelques semaines, les noms des victimes. Progressivement, les thèmes des collages se sont diversifiés pour englober les violences faites aux femmes et aux minorités de genre, ainsi que tout type de violences considérées comme des violences patriarcales par le mouvement. Cet élargissement invite à considérer non seulement la mémoire des femmes, mais participe plus largement à la construction d’une mémoire des luttes féministes, exposée dans la ville, au regard de tous·tes. Mon second objet de recherche opère ainsi un décalage par rapport au premier : il propose de nouveaux modes d’expression et une transgression des normes en vigueur. Les collages visibilisent la mémoire et les trajectoires de femmes ordinaires, dont certaines restent des victimes anonymes. Considérés dans leur globalité, les slogans féministes placardés sur les murs sont un témoignage des mouvements féministes successifs de ces dernières années, ils conservent leur mémoire et permettent leur diffusion à tous les publics. Mon objectif est dès lors de comprendre comment cette pratique du collage commémoratif peut acquérir une légitimité au-delà du milieu militant pour pénétrer des sphères plus institutionnelles et être ainsi reconnue.


 

              

 

 

Plus largement, ma thèse considère toute action de valorisation de la mémoire des femmes ou de la mémoire du féminisme qui se matérialise dans l’espace urbain parisien et qui propose un nouvel angle pour la réfléchir.

 

Pour chaque objet de recherche, une analyse quantitative est d’abord réalisée. Des cartographies à l’échelle de Paris offrent une vue d’ensemble des phénomènes et permettent d’identifier les terrains les plus féconds qui font par la suite l’objet d’une analyse plus fine et qualitative à travers des entretiens semi-directifs auprès des acteur·rices concerné·es ou une observation participante au sein du mouvement de collage. 

 

 

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