Federico Del Giudice, accessit du prix de thèse 2021 de l'EHESS
Federico Del Giudice a reçu l'accessit du prix de thèse 2021 de l'EHESS pour sa thèse « L’étranger face à la naissance de la protection sociale : étude de l’action en justice des travailleurs italiens en France et en Argentine dans l’entre-deux-guerres », sous la direction en cotutelle d'Alessandro Stanziani et Ilaria Pavan.
Comment résumeriez-vous votre thèse en quelques lignes ?
Ma thèse porte sur les droits sociaux des travailleurs italiens résidant en France et en Argentine pendant l’entre-deux-guerres. À cette époque, ces deux pays représentent les deux principales destinations de l’émigration italienne - les États-Unis ayant décidé de réduire les flux migratoires au début des années 1920 - et sont marqués par l’introduction d’un grand nombre de droits sociaux en matière d’accidents du travail, chômage, maladie, etc. L’objectif est de voir quels sont les critères d’inclusion et/ou d’exclusion des étrangers dans ces nouveaux systèmes de protection sociale et, surtout, de voir de quelle manière les étrangers revendiquent l’inclusion dans ces nouveaux droits.
La thèse peut être divisée en deux parties principales. Dans la première, j’adopte une perspective d’en haut, en menant une comparaison des normes adoptées dans les deux contextes, ainsi que de la législation internationale qui se développe à partir de la Grande Guerre en matière de migrations et de droits sociaux. En effet, au début du XXe siècle, la manière d’inclure les étrangers dans la législation sociale peut varier beaucoup d’un pays à l’autre. Les droits sociaux sont utilisés comme des leviers pour favoriser certaines typologies de migrations en fonction des priorités économiques, politiques et/ou sociales.
Dans la deuxième partie de la thèse, j’opère un jeu d’échelle en adoptant davantage une méthodologie microhistorique. Dans les derniers chapitres, en effet, j’ai examiné des contentieux judiciaires entre des travailleurs étrangers et leurs employeurs afin d’analyser la manière dont les étrangers s’emparent des normes locales pour revendiquer l’accès aux nouvelles formes de protection sociale. Les sources judiciaires permettent d’étudier le droit en action, c’est-à-dire de saisir la manière dont les acteurs utilisent le langage du droit pour parvenir à améliorer leur condition socio-économique. Les documents produits par les tribunaux nous permettent en outre de reconstruire les liens qui entourent les travailleurs, afin d’analyser les différentes formes de solidarité mobilisées dans l’arène judiciaire.
Pourquoi avoir choisi ce sujet de thèse ?
Les migrations internationales et la crise des modèles de protection sociale sont deux phénomènes qui ont profondément marqué l’Europe au cours des dernières décennies. Ces deux thématiques ont largement polarisé le débat public et politique, et les sciences sociales se sont ainsi interrogées autour de la relation qui existe entre les flux migratoires et les systèmes de welfare state.
Je souhaitais donc étudier la multiplicité d’imbrications possibles entre ces deux phénomènes dans des contextes différents, à l’époque où naît la protection sociale et où les migrations internationales ont désormais gagné une dimension de masse.
Comment avez-vous effectué vos recherches ?
Pendant le doctorat, l’un des défis majeurs a été de parvenir à maîtriser la méthode de la comparaison. Les historiographies française et argentine ont souvent travaillé sur des questions et des problématiques très différentes. Dans une première période, j’ai donc étudié les bibliographies des deux pays, en les lisant à rebrousse-poil afin d’en tirer une image cohérente et capable de fournir des premières réponses à mes questions et, en parallèle, de faire émerger les silences historiographiques et méthodologiques.
Ensuite, j’ai mené un travail similaire sur les sources primaires. J’avais commencé à enquêter sur les archives françaises et italiennes au cours de mon master, mais j’ai dû reprendre les documents étudiés pour répondre aux nouvelles questions qui émergeaient de la comparaison. Je me suis ensuite rendu en Argentine pour un séjour de recherche de trois mois en 2019. Les documents que je trouvais dans un pays me permettaient de lire d’une manière différente les sources étudiées dans l’autre. Quand la pandémie a éclaté en 2020, j’ai donc concentré mon effort sur la relecture des documents trouvés au cours des années précédentes, en essayant d’écrire une thèse cohérente, tout en montrant les différences profondes qui émergeaient de la comparaison des sources.
Quelle suite donner à votre thèse ?
La langue d’écriture de la thèse est l’italien, alors que les thématiques traitées se réfèrent aux contextes français et argentin. Je compte ainsi faire connaître les résultats de mes recherches en dehors de l’Italie, d’abord en publiant des articles en anglais, français et espagnol et, ensuite, en traduisant une partie de la thèse en anglais, afin de publier une monographie pour le public international.
En novembre et décembre prochains, je vais en outre conduire un deuxième séjour de recherche en Argentine grâce à un financement international dont j’ai été récemment le lauréat. Au cours de ce séjour, je compte approfondir l’analyse des archives argentines afin d’améliorer l’œuvre de comparaison en vue de la publication de ma thèse.
Racontez-moi votre parcours
Mes études universitaires en histoire ont commencé à l’Université La Sapienza de Rome. À la fin de mon diplôme, j’ai commencé à étudier l’émigration politique des antifascistes italiens en France, ce qui m’avait amené à vouloir poursuivre mes études à Paris. Je souhaitais étudier le rôle des immigrés dans le syndicalisme français de l’entre-deux-guerres et, pour ce faire, j’avais envoyé un projet à Alessandro Stanziani, qui est ainsi devenu mon tuteur pour mon master en histoire au sein de l’EHESS.
Les années passées à l’EHESS ont été une période incontournable de formation à la recherche en sciences sociales. Au cours de mon master, j’ai commencé à m’intéresser à l’histoire de la protection sociale et à travailler sur les sources judiciaires. Vers la fin de mon master, j’ai donc rédigé un projet de thèse où je proposais d’étudier les droits sociaux des travailleurs immigrés à travers leurs conflits judiciaires. J’ai ainsi été sélectionné par la Scuola Normale Superiore de Pise pour conduire un doctorat, élargi ensuite à l’EHESS dans le cadre d’une cotutelle. Mon parcours de doctorat s’est donc développé entre ces deux institutions, mais je dois également remercier l’Université Franco-Italienne, l’institution binationale qui gère la coopération scientifique entre les deux pays, qui a financé une partie de mes déplacements à travers une bourse Vinci. Pendant le doctorat, avec mes directeurs de thèse, nous avons décidé d’élargir la recherche à l’Argentine, où j’ai pu mener une période de recherche, heureusement avant que la pandémie n’empêche tout nouveau déplacement. Pendant le confinement j’ai donc commencé la rédaction de ma thèse, en utilisant le matériel que j’avais recueilli et celui que je pouvais trouver numérisé. Ma thèse est ainsi le résultat d’un long parcours qui s’est développé au fil des années et qui intègre des méthodologies et des approches apprises dans différents établissements universitaires, héritiers de traditions historiographiques et méthodologiques les plus diverses.
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