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Raconte-moi ta thèse #17 | Les représentations de la préhistoire dans les jeux vidéo, par Benjamin Efrati

Raconte-moi ta thèse

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29/03/2023

Benjamin Efrati est titulaire d’un Master en Philosophie de l'université Jean Moulin Lyon 3 et d’un Diplôme national supérieur d’Arts Plastiques de l'École Nationale Supérieure des Beaux-Arts de Paris. Il est actuellement doctorant au Centre de Recherches sur les Arts et le Langages - CRAL (EHESS/CNRS). Sa thèse, sous la direction de Claudine Cohen, porte sur les représentations de la Préhistoire dans les jeux vidéo.


La naissance d'un projet de thèse

“Depuis l’aube de l’humanité” : alors que je préparais le bac de philo, les manuels scolaires conseillaient de ne jamais commencer une dissertation par cette phrase. Cette mise en garde évoque une tradition étrange, celle de la généralisation des préjugés. J’ai mis du temps à comprendre de quoi cette interdiction était symptomatique, et c’est en tant qu’artiste, plutôt qu’en philosophe, que j’ai initié mon projet de recherche sur la Préhistoire. En 2014, j’ai été très stimulé par la lecture du Manifeste Xénoféministe de Laboria Cuboniks. Ce texte, repris dans l’anthologie éditée par Manuel Schmalstieg en 2015, Manifestos for the internet age, a provoqué en moi un déclic : il fallait penser les implications de l’anti-naturalisme post-cyberféministe des Xénoféministes à travers le filtre de la critique de la psychologie évolutionniste à la David Buller. Pourquoi la collision entre préhistoire et numérique me renvoyait-elle une certaine familiarité ?

 


Enfant, j’avais effectué un voyage scolaire à Lascaux avec mon école primaire - nous étions restés une semaine et avions participé à toutes sortes d’activités thématiques (taille de silex, confection de sagaies, peinture rupestre…). C’étaient les années 1990, et comme beaucoup d’enfants j’étais sensible à la paléontologie et fasciné par le voyage dans le temps. Je regardais en boucle sur VHS Jurassic Park, Indiana Jones, L’Empire Contre-Attaque, etc… Harrison Ford, c’était un peu la preuve que l’archéologie, la science-fiction et le surnaturel étaient situés sur un continuum. Cet imaginaire qui s’étendait de la bande dessinée au cinéma en passant par les jeux vidéo parlait d'altérité : autres temps, autres mondes, autres formes de vies. 


« Plutôt que de travailler dans le plus grand secret, j’ai préféré une approche de type “science ouverte” » 

Dès le départ, l’idée était assez claire : rechercher dans la paléoanthropologie des outils pour penser l’interaction entre l’histoire de l’humanité et l’histoire du numérique afin d’interroger l’idéologie dominante et la fabrique des imaginaires. Les humanités préhistoriques représentent une forme d'altérité tout aussi difficile à appréhender que le devenir informatisé de notre espèce. Ce “temps profond” de la géologie, c’est le trait d’union entre les centaines de milliers d’années qui ont précédé l’apparition de comportements sédentaires et les lendemains qui chantent du monde hybride et connecté tant fantasmé depuis le milieu du XXe siècle. Je réfléchissais par exemple à l’impression d’anachronisme qui se dégage lorsqu’on replace les smartphones dans l’histoire de l’exploitation des matières siliceuses par les populations anciennes. 



Un parcours à mi-chemin entre art et recherche

Il y a là matière à fantasmer, et ce fantasme sur l’anachronisme est exploité par les industries culturelles, depuis l’émergence des premiers récits illustrés et du cinématographe. Il a simplement été renouvelé au gré de l’évolution des médias aux XXe puis au XXIe siècle. Lorsque j’ai découvert les travaux de Claudine Cohen, qui a travaillé sur l’histoire des représentations de la Préhistoire, et qui a réfléchi à l’application des études de genre dans ce contexte, j’ai immédiatement su que je voudrais travailler avec elle. Travailler sur les intersections entre Préhistoire et jeux vidéo, c’était une manière de m’inscrire en continuité de la démarche de Mme Cohen, philosophe des sciences et spécialiste des représentations de la Préhistoire (littérature, peinture, etc). J’ai candidaté pour obtenir un contrat doctoral, mais je crois que mon projet de recherche et mon profil atypique n’ont pas fait l’unanimité auprès du jury. J’ai décidé de poursuivre de front ma carrière artistique et ce projet de recherche. Je ne regrette pas ce choix, mais le statut de chercheur sans financement implique un certain nombre d’inconvénients - par exemple, je n’ai pas de badge pour ouvrir la porte de mon laboratoire. 

Plutôt que de travailler dans le plus grand secret, j’ai préféré une approche de type “science ouverte” - j’ai participé à des fouilles archéologiques, organisé des journées d’études, afin d’échanger le plus possible avec d’autres chercheuses et chercheurs. L’idée était de construire une réflexion transdisciplinaire autour d’une question : la Préhistoire est-elle, en un sens, l’ancêtre, voire la condition de possibilité de la science-fiction ? Grâce à des dialogues fructueux avec des chercheuses et chercheurs talentueux comme Fleur Hopkins-Loféron, Yann Le Jeune, Alix Desaubliaux, Ludovic Mevel, Élisa Caron-Laviolette, Jean-Sébastien Steyer et Clare Mary Puyfoulhoux (académiciennes ou non), cette idée est devenue un cadre de pensée collectif. Cela m’a aidé à faire la part des choses, et m’a encouragé à travailler sur des objets plus précis dans le cadre de colloques auxquels je prenais part : cosmogonies fictionnelles et interactives, représentation de la théologie naturelle ou encore des déchets dans les jeux vidéo.



J’ai ainsi pu identifier ce qui constituait le noyau dur de mon projet doctoral. J’ai aussi bénéficié du soutien du Département Son, Vidéo, Multimédia de la BnF, au sein duquel je suis chercheur associé. Ce statut me permet de consulter les collections patrimoniales de jeux vidéo, les périodiques et les ouvrages qui m’intéressent, mais aussi de réfléchir aux politiques culturelles de l’époque sur laquelle je travaille. Cet axe de réflexion concerne essentiellement le dépôt légal du numérique, mis en place en 1992, dispositif encore mal connu par les artistes et les acteurs du numérique.


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