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Portraits de Timothée Brunet-Lefevre, Alexis Chapelan, Marguerite De Lasa et Maxime Maréchal, lauréat·es du prix du mémoire 2019 - Études politiques

Prix et récompenses

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13/12/2019

Étudiant·es de master à l'EHESS, Timothée Brunet-Lefevre, Alexis Chapelan, Marguerite de Lasa et Maxime Maréchal ont vu tous les quatre leur mémoire récompensé par le prix de la mention Études politiques, initié cette année. Le travail de Timothée Brunet-Lefevre sera prochainement publié aux éditions Hoosh.

En attendant, les lauréat·es ont bien voulu présenter leurs parcours et leurs sujets de recherche.


Timothée Brunet-Lefevre, première place pour son mémoire sur Le père Seromba et la destruction de l’église de Nyange. Rwanda, 6 avril 1994 - 17 avril 1994

Après un passage en classe préparatoire et une licence d'Histoire à Paris I, j'ai rejoint le master Études politiques en 2017. La rencontre avec mon directeur, Stéphane Audoin-Rouzeau, a été décisive dans le choix de mon sujet. J'ai ainsi entrepris une recherche sur un prêtre génocidaire et sa paroisse lors du génocide des Tutsi rwandais, en avril 1994.

Dans la paroisse de Nyange, le père Athanase Seromba a fait détruire son église pour qu'elle s’effondre sur les deux mille Tutsi venus y chercher refuge. Si de nombreuses églises ont été attaquées pendant le génocide, la destruction de l'édifice religieux est un acte inédit, fort de sens dans un pays profondément chrétien. Je me suis donc interrogé sur le rôle du prêtre dans le massacre d'une partie de ses fidèles. Auprès des tueurs, Seromba a conservé son rôle d'intermédiaire avec le divin. L'habit, la parole et l'aura du religieux ont contribué à légitimer les génocidaires, mais aussi à trahir les victimes, convaincues de la sainteté du prêtre. Pour écrire cette trahison, il a fallu passer par un autre événement : le procès de l'abbé au Tribunal pénal international pour le Rwanda entre 2002 et 2008. À la Chambre, c'est tout un espace-temps qui s'est trouvé recomposé. Les anciens paroissiens de Nyange, génocidaires comme rescapés, ont comparu face aux juges et face à l'accusé. À travers le jugement d'un prêtre, c'est toute la dimension religieuse du génocide des Tutsi qui est ressortie au prétoire.

Pour mener ce projet à bien, il a fallu mobiliser les ressources de disciplines très variées. Les séminaires de l'École m'ont été d'une grande aide pour répondre à ce défi. De nombreuses rencontres et échanges fructueux ont rendu possible ce mémoire. Avec l'appui de la mention Études politiques, j'ai bénéficié d'une aide de terrain pour partir au Rwanda en septembre 2018. C'est grâce à ces conditions optimales que j'ai décidé de continuer mon parcours de recherche en doctorat, toujours à l'EHESS, sous la direction de Stéphane Audoin-Rouzeau. Au croisement du droit et de l'histoire, j'étudie le très récent procès de deux génocidaires rwandais à la cour d'assise de Paris, Tito Barahira et Octavien Ngenzi.



Alexis Chapelan, deuxième place ex-aequo pour son mémoire sur La pensée « anti-genre ». Une nouvelle Kulturkritik au service d’une rénovation de la narration antimoderne

Originaire de Roumanie, j’ai réalisé une licence à l’Université de Bucarest sur l’influence du nationalisme intégral maurassien sur l’extrême droite historique en Europe centrale et orientale. J’avais d’ores et déjà une perspective transnationale, comparatiste, dont le centre de gravité était l’étude des flux intellectuels et idéologiques ouest-est. Malgré ma bifurcation ultérieure vers l’actualité politique, j’ai continué de placer l’approche comparatiste au centre de ma grille d’analyse ; néanmoins, j’étais sur un terrain méthodologiquement plus incertain, et la complexification des phénomènes étudiés me plaçait devant la nécessité d’enrichir également ma boîte à outils conceptuelle pour mieux les appréhender dans leur polymorphie. J’ai continué mon parcours académique dans un cadre d’un double master me permettant de suivre mon année de M2 à l’EHESS. Intégrer l’École a été pour moi principalement l’opportunité de me plonger dans un véritable maelstrom intellectuel interdisciplinaire, offrant des ouvertures des plus stimulantes sur certains angles morts de ma recherche, tels que la sociologie de la pratique religieuse ou la fonction de socialisation politique opérée dans des réseaux catholiques tels que le scoutisme et les communautés charismatiques.

Travailler sur la nébuleuse « anti-genre » a été un réel défi, tout d’abord par une certaine difficulté à fixer l’objet de recherche. L’image d’un nœud idéologique (comme un nœud ferroviaire ou autoroutier) vient à l’esprit pour décrire cet entrecroisement et ce recoupement de plusieurs dynamiques idéologiques aux géométries variables, qui ont en commun avant toute chose leur refus de la modernité libérale et individualiste. 

Cette recherche, menée alternativement en Roumanie et en France, m’a permis de comprendre certaines des lignes de fractures des sociétés européennes actuelles, et de saisir mieux les mécanismes de production d’une nouvelle radicalité se percevant comme anti-système. 

Aujourd’hui je travaille sur le concept de « guerre culturelle » dans le cadre d’un doctorat en sciences politiques à l’Université de Bucarest, et je vise pareillement une expérience internationale qui pourra nourrir utilement ma réflexion.   


De gauche à droite : Timothée Brunet-Lefevre, Alexis Chapelan, Marguerite de Lasa et Maxime Maréchal
© Photos personnelles



Marguerite de Lasa, troisième place pour son mémoire intitulé Des chrétiens aux frontières de l'Église. Ethnographie d’une communauté chrétienne héritière de la théologie de la libération dans un quartier populaire de Santiago du Chili

Après trois ans de classe préparatoire littéraire, j’ai effectué un master à l’EHESS au sein de la mention Études politiques. Je souhaitais enquêter sur la théologie de la libération, un courant du catholicisme qui, dans les années 1970 et 1980 en Amérique latine, « défendait l’idée que la foi et la pastorale devaient servir la libération sociale, économique et politique des pauvres et des opprimés », selon la définition d’Olivier Compagnon. 

Mon intérêt pour ce sujet est né d’une inquiétude plus personnelle qu’académique. Je suis issue d’une famille catholique et, parallèlement, je développais une sensibilité politique de gauche. Or en France, ces deux tendances paraissaient irréconciliables. J’ai donc été fascinée par la fusion entre foi chrétienne et idéal révolutionnaire qui s’était opérée en Amérique latine. 

Le Chili me semblait un terrain d’enquête privilégié. Pendant la dictature de Pinochet (1973-1990), l’Église chilienne s’était illustrée en devenant le fer de lance de la lutte pour les Droits de l’Homme, s’inscrivant dans la droite ligne de la théologie de la libération. Il me paraissait intéressant d’étudier les recompositions de cette église résistante et engagée dans un Chili devenu néolibéral. 

Je suis donc partie un an en terrain dans un quartier populaire de Santiago pour faire l’ethnographie d’une communauté chrétienne se réclamant de cet héritage. Dans mon travail, je tente de comprendre comment la foi nourrit un engagement politique et, à l’inverse, comment des militants politiques trouvent une réponse à leurs inquiétudes spirituelles au sein d’une communauté chrétienne. 



Maxime Maréchal, deuxième place ex-aequo pour son mémoire sur Les voix de l’asile. Enjeux politiques de l’interprétariat dans la procédure de demande d’asile en France

Suite à un master de philosophie à l’université Paris 4, j’ai travaillé avec les équipes du Samu social de Paris présentes dans le Centre de Premier Accueil pour demandeurs d’asile de la porte de la Chapelle, en tant que volontaire en service civique. J’ai souhaité poursuivre les questionnements sur les problématiques liées au droit d’asile qui ont émergé à cette occasion, en me focalisant sur les enjeux propres à l’intervention d’un interprète, et me suis ainsi inscrit en seconde année du master Études Politiques de l’EHESS. Mon mémoire, dirigé par Clara Lecadet, a cherché à interroger la fonction des interprètes lors des entretiens mettant en présence un demandeur d’asile et le représentant de l’instance chargée d’évaluer sa requête, à l’Ofpra ou à la CNDA. Les observations ethnographiques d’audiences à la CNDA et l’analyse critique des textes normatifs encadrant la pratique de l’interprétation ont commencé à montrer que, dans l’économie de ces rapports asymétriques structurés par un certain « ordre du discours » administratif, la fonction de l’interprète relève à la fois d’une subordination institutionnelle et d’une agentivité interactionnelle. Je me prépare aujourd’hui à poursuivre ces recherches sous un angle sociolinguistique, dans le cadre d’une thèse conduite à l’université Paris 7 sous la direction de Jean-Michel Benayoun, et espère ainsi contribuer à la meilleure reconnaissance de l’importance politique de l’interprétation dans le contexte de la demande d’asile.

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