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Pierre Gaume, deuxième prix de thèse du Comité d'histoire de la Sécurité sociale pour sa thèse sur le vagabondage et la mendicité en France au XIXe siècle

Prix et récompenses

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03/03/2023

Pierre Gaume a reçu le deuxième prix de thèse du Comité d'histoire de la Sécurité sociale pour son travail sur "La police des existences irrégulières et incertaines. Socio-histoire du vagabondage et de la mendicité au XIXe siècle". Il est historien, docteur à l’Institut de recherche interdisciplinaire sur les enjeux sociaux (IRIS), en cotutelle avec l’EHESS, le CNRS, l’Inserm et l’Université Sorbonne Paris Nord. 


Comment résumeriez-vous votre thèse en quelques lignes ?

Ma thèse tente d’offrir une perspective d’ensemble sur le thème du vagabondage et de la mendicité en France, à l’échelle du XIXe siècle. Elle interroge d’abord la signification historique et les usages sociaux des délits, qui restent très marqués par des pratiques apparues au cours de l’époque moderne – la surveillance des mobilités ou l’effort de différenciation des populations pauvres, par exemple. Au delà des définitions juridiques, l’interprétation de la législation et son appropriation par les différents agents forment le cœur de ce travail. Gendarmes et policiers, maires ou préfets, juges et procureurs sont autant d’acteurs au service d’une entreprise de triage complexe, dont j’ai essayé d’éclairer les principaux aspects. Afin de comprendre la persistance des délits tout au long du siècle, je me suis également intéressé aux représentations médiatiques et aux discours experts, à travers une étude des grands titres de la presse et de la littérature imprimée (droit, médecine…). Un dernier enjeu de mon travail consistait à appréhender la sociologie des comportements et des populations incriminés, à restituer la diversité des parcours et des trajectoires que la législation tendait à amalgamer. Loin de l’image de marginalité souvent accolée aux mendiants et aux vagabonds, cette analyse met à jour des réalités sociales hétérogènes, profondément inscrites dans l’histoire des classes populaires, à travers des thématiques telles que le rapport à l’insécurité économique et aux mobilités, l’économie fragile du groupe familial, ou l’existence d’une « culture de la débrouille » qui expose au risque de l’arrestation.


Pourquoi avoir choisi ce sujet de thèse ?

Au départ, je dirais qu’il y a la lecture de Surveiller et punir, de Michel Foucault. L’analyse minutieuse des formes de pouvoir et des mécanismes de domination, la réflexion sur la manière dont ces mécanismes s’inscrivent dans le tissu des relations sociales m’ont beaucoup impressionné. D’autres travaux consacrés à l’histoire des classes populaires ont également été importants dans mon parcours, à l’image des ouvrages d’A. Farge, de J. Rancière ou de M. Perrot. Le thème du vagabondage et de la mendicité permettait de réunir ces deux centres d’intérêt, à l’intersection d’une histoire des formes du contrôle social – à travers la législation pénale – et de celle des classes populaires – saisies dans leur face à face avec la police et les autorités. J’ai donc décidé de m’y consacrer dès la maîtrise, puis dans le cadre d’un Master 2 réalisé à l’EHESS. La richesse et la complexité du sujet m’ont ensuite décidé à poursuivre ce travail en thèse. Comme des études avaient déjà été menées localement, nous avons choisi avec G. Noiriel d’envisager une approche globale, à l’échelle du pays, qui permette d’interroger la signification des délits dans ses différentes dimensions (définitions légales et réglementaires, productions discursives, rôle des acteurs sociaux, sociologie des populations incriminées). L’enjeu était aussi de réinscrire cette question du vagabondage et de la mendicité dans un cadre conceptuel plus large, qui intègre les apports récents de l’histoire et des sciences sociales autour de sujets tels que l’étatisation et ses manifestations concrètes, le maintien de l’ordre et les pratiques policières, le droit pénal ou l’économie assistantielle…


Comment avez-vous effectué vos recherches ?

Mes recherches se sont effectuées en plusieurs étapes. J’ai d’abord exploité les ressources de deux fonds départementaux (Rhône, Saône et Loire), ce qui m’a permis d’appréhender les enjeux des politiques liées au vagabondage et à la mendicité à l’échelle d’un territoire local, où l’on pouvait en saisir la cohérence, les logiques et les évolutions. J’ai également passé beaucoup de temps à lire l’immense production imprimée consacrée à ces questions, ainsi que les grands titres de la presse, que j’ai rassemblés en une base de données pour pouvoir les analyser de façon thématique. Dans le souci de dépasser une approche strictement localiste, j’ai aussi utilisé plusieurs fonds des Archives nationales (ministère de l’Intérieur, de la Justice…), de nombreuses revues, ainsi que des sources parlementaires (séances des chambres, commissions). L’une des tâches les plus difficiles fut de parvenir à maîtriser cette masse documentaire, à l’ordonner au sein d’un discours cohérent et problématisé. Je n’oublie pas toutes les lectures qui ont nourri ma réflexion pendant ce long cheminement, et qui m’ont aidé à faire émerger certains axes essentiels – à l’instar des travaux d’A. Faure ou d’A. Cottereau, quand il fallut décrire et analyser les réalités sociologiques que recouvraient les délits.


Quelle suite donner à votre thèse ?

Pour l’heure, comme ma thèse a été un exercice assez solitaire, je m’efforce d’en faire vivre le contenu et de le soumettre à discussion, à travers différentes interventions et publications. J’ai également entrepris des démarches auprès d’éditeurs afin d’en tirer un ouvrage, qui mettrait en avant les aspects les plus importants de mon travail. À plus long terme, j’aimerais prolonger ma réflexion sur la mendicité et le vagabondage en explorant d’autres fonds, dans un contexte plus urbain, ou plus tardif (l’entre-deux-guerres par exemple). La question du sans abrisme et de sa prise en charge à la fin du XIXe siècle m’intéresse également, tout comme celle des dépôts de mendicité ou des œuvres d’assistance par le travail. L’histoire des classes populaires, des populations pauvres et de leur traitement social est un champ de recherche dynamique et passionnant, que l’on n’a pas fini d’explorer !


Racontez-moi votre parcours

Après un bac scientifique obtenu à Thiers (Puy de Dôme), j’ai effectué deux années de classes préparatoires littéraires à Lyon, au lycée É. Herriot – plutôt dans l’idée de faire de la philosophie. J’ai finalement opté pour des études d’histoire à l’Université Lyon 2, où j’ai découvert la question du vagabondage en maîtrise. Mon goût pour la sociologie et mon intérêt pour la socio-histoire m’ont ensuite amené à m’inscrire en Master 2 à l’EHESS, sous la direction du professeur Gérard Noiriel. Ce travail m’a permis d’explorer différents fonds d’archives et de définir plus précisément les contours de ma future thèse. Initiée fin 2009, celle ci fut une entreprise de longue haleine, menée pendant plus de dix ans, parallèlement à mon activité d’enseignant dans le secondaire. Je l’ai soutenue en décembre 2021.



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