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Michèle Kahn, diplômée de l'EHESS, femme-plume

Et après ?

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07/12/2020

Diplômée de l'EHESS, Michèle Kahn est écrivain et journaliste. Elle intervenait le 25 novembre 2020 lors de la séance du cycle de rencontres sur les métiers de l'écriture, des médias et de la communication. Le texte qui suit a été produit à cette occasion.


Certains d’entre vous s’inquiètent peut-être de savoir comment ils vont réussir à s’intégrer dans la vie professionnelle, alors j’ai choisi de vous raconter mes débuts. 

Je suis née à Nice en 1940.

Pourquoi Nice ? Parce que c’était en 1940.

Je m’explique. Ma famille, de confession juive, habitait avant la guerre à Strasbourg. Quand mon grand-père a vu approcher Hitler, il a dit : « il faut partir le plus loin possible », et le plus loin possible, c’était Nice. Mais Nice n’a pas été aussi sûre qu’il l’avait espéré.

Après des années de guerre mouvementées, ma famille revient à Strasbourg, et c’est dans cette ville que je fais mes études scolaires.

Au lycée, le français est ma matière favorite, mais je m’ennuie royalement pendant les cours d’Histoire, dispensés par un professeur qui se contente de nous lire le manuel, et je me vanterai ensuite bêtement d’avoir passé le bac sans avoir jamais appris une leçon d’Histoire. Livrée ensuite à moi-même, je découvrirai que l’Histoire est une matière passionnante et il arrive aujourd’hui que des journalistes, à la lecture de mes livres, me disent historienne.

À l’époque du lycée, cheftaine de louveteaux, j’écris des histoires à leur intention, et elles sont publiées par un journal communautaire. J’ai 14 ans.

Quand vient le temps de choisir un métier, je souhaite devenir comédienne. Mes parents me l’interdisent, car, disent-ils, le milieu du théâtre est dépravé. Je souhaite alors entrer aux Beaux-Arts. Mes parents poussent les hauts cris : c’est un lieu mal famé. L’école de journalisme strasbourgeoise vient de se créer et m’intéresse. Pas question, ce n’est pas un métier pour les filles. Bref, je m’inscris à la Faculté de Psychologie, mais je me marie pour aller vivre à Constance, en Allemagne. Là-bas, je suis des cours universitaires par correspondance tout en étant vendeuse en pharmacie. Hélas, j’échoue à l’examen pour n’avoir pas su, d’après mes collègues, répéter le cours du professeur titulaire. Je n’avais jamais eu l’occasion de l’entendre.

J’oublie l’université et je remplis des petits carnets. J’échange avec mes amis de longues lettres où nous discutons livres et littérature. Un jour j’envoie un poème au poète Luc Bérimont, qui anime une émission du soir sur France Inter. Il y lit le poème, et je reçois un mandat de 18 francs. Mon premier gain littéraire ! Encouragée, j’envoie un texte à divers éditeurs. Je ne réussis pas à me faire éditer mais, lors d’un passage à Paris, je rencontre Jean-Claude Brisville, éditeur chez Julliard, qui me propose de lui faire des fiches de lecture. Cependant les difficultés postales dues à l’éloignement réduisent vite cette activité à néant. Je continue à écrire dans mon coin.

En 1963, nous sommes brutalement obligés de revenir habiter en France, et nous choisissons Paris. Mon motif à moi, c’est qu’il me sera là plus facile d’accéder aux milieux littéraires. Mais en attendant, il me faut absolument gagner ma vie et, sans diplôme, tout ce que je trouve à faire, c’est d’entrer dans une agence immobilière. Comme nous habitons en banlieue, il m’arrive de faire 100 km en voiture en une journée et/ou de grimper quinze ou vingt étages à pied. Je dois abandonner lorsque j’attends un enfant.

Trois ans plus tard environ, j’ai écrit deux textes : un roman pour adultes et un conte pour enfants, que j’ai adressés à diverses maisons d’édition, sans résultat. Quelqu’un me conseille d’envoyer le conte à un éditeur chez Hachette-Jeunesse. Il me reçoit, m’explique que ce texte lui plaît beaucoup mais n’a aucun avenir dans la maison, car on n’y publie que des séries, françaises ou étrangères, ou des textes signés par des célébrités, et il me propose de devenir lectrice, ce que j’accepte, heureuse d’avoir enfin un pied dans l’édition. Puis je deviens traductrice d’anglais et d’allemand, je réécris les textes de certaines célébrités. J’accomplis ce travail de mon mieux tout en laissant entendre que je préfèrerais écrire. Un jour, passant dans un couloir, je rencontre le directeur du département « Jeunesse Albums » qui me dit : « Venez, puisque vous voulez écrire… ». 

Il me demande si je m’intéresse aux Sciences naturelles, je réponds oui avec enthousiasme, me gardant bien de lui révéler que j’ai eu 1 au bac, et il me montre une série d’illustrations sur le sapin. La commande est d’écrire le texte de cet album de seize pages. Je fonce à la bibliothèque du Museum d’histoire naturelle et m’y enferme pendant des heures. Un jour, j’ai l’impression d’être moi-même devenue un sapin, et je me mets à écrire, avec une contrainte : il faut que le texte occupe à cinq signes près les emplacements prévus en regard des illustrations.

Je tremble en apportant mon texte. À la fin de sa lecture, l’éditeur me regarde, de pied en cap. Je porte un manteau rose, vague, de forme trapèze. « Vous êtes enceinte ? demande-t-il. « Non, je réponds, cramoisie. Pourquoi ? » - « Dans ce cas, il y a six autres albums pour vous. » Tels sont les débuts.

Par contrat du 2 juin 1971, je reçois 400 F pour Un Sapin m’a raconté. L’éditeur camoufle qu’il s’agit d’une commande et offre un droit de 0,25 pour cent sur le prix de vente hors taxes. C’est sa façon de se mettre en accord avec la loi de 1957 qui exige que les auteurs perçoivent des droits… mais sans que cela puisse me rapporter un centime. Même régime pour les sept autres albums sur les plantes qui suivent. Les noms des auteurs ne sont pas imprimés sur la couverture. Lorsque je le réclamerai, je m’entendrai opposer que cela détruirait l’harmonie esthétique. 

Ensuite, toujours chez Hachette, j’écris des romans consacrés à la petite héroïne Caroline et ses amis, sous le pseudonyme imposé : Lélio. Parallèlement je réussis, enfin, à publier des textes de mon inspiration chez des éditeurs de moindre importance. Je fréquente avec assiduité toutes les manifestations qui concernent la littérature de jeunesse, et c’est là que je rencontre Marc Soriano. Normalien, agrégé de philosophie, professeur émérite à Paris-VII, spécialiste de Charles Perrault, de Jules Verne et de littérature populaire, il enseigne aussi à l'École des hautes études, premier universitaire à s'intéresser à la littérature pour la jeunesse et à l’enseigner. Et Marc Soriano me dit : « Vous devriez venir avec moi à l’École des hautes études. Ça vous poserait ».

Ce que je fais. Là, je découvre un concept dont j’ignorais l’existence et qui m’enchante : la pluridisciplinarité. Une journaliste m’a dernièrement caractérisée par ce mot, en constatant que j’aborde un univers différent dans chacun de mes romans. 

Le plus drôle, c’est que Marc Soriano a également convaincu d’assister à ses cours mon éditeur principal chez Hachette Jeunesse. Nous choisissons (sous la forte influence de l’éditeur) le même thème pour le mémoire qui consacrera notre passage à l’EHESS : « Coédition et coproduction dans l’édition d’albums pour la jeunesse », lui faisant une analyse d’ensemble et moi une analyse statistique pour la période 1973-1974, qui permettra de distinguer les principaux courants d’échanges entre pays. Nos mémoires reçoivent en 1976 l’agrément de Roland Barthes et Henri-Jean Martin.

C’est peut-être grâce à l’enseignement de Marc Soriano que j’ai acquis une conscience syndicale, ce qui me fait participer aux travaux de diverses associations, et j’entre en juin 1981 au Comité de la Société des Gens de Lettres, première auteure pour la jeunesse agréée par l’institution. J’en serai la Secrétaire Générale de 1982 à 1986, puis la vice-présidente. C’est le début d’un engagement pour les auteurs, d’abord à la SGDL, puis à la Scam (Société civile des auteurs multimédia), qui m’occupera pendant 38 ans. 

Parallèlement, je subis une sorte de mue. Lassée de l’édition pour la jeunesse après plus d’une centaine d’ouvrages dans tous les genres existants, je décide de m’adresser aux adultes. tel Riviera paraît en 1986 chez Grasset. C’est un nouveau début, à raison d’un roman tous les deux ans. Je m’y consacre à plein temps, tout en siégeant dans des jurys littéraires, et cette vie passablement confinée me convient très bien !


Photo : ©Patrick Iafrate


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