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Julie Oleksiak, lauréate pour la mention du prix de thèse 2021 du musée du Quai Branly - Jacques Chirac

Prix et récompenses

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05/01/2022

Julie Oleksiak est lauréate pour la mention du prix de thèse 2021 du musée du Quai Branly - Jacques Chirac pour sa thèse d’Ethnomusicologie intitulée « Des musiques du monde à Royaumont. Fabrication de la diversité des programmations de rencontres dans une institution culture », soutenue à l’EHESS sous la direction de Denis Laborde, Centre Georg Simmel 


  • Comment résumeriez-vous votre thèse en quelques lignes ?

Opérant la jonction entre anthropologie de la musique et anthropologie des institutions, cette recherche se concentre sur les acteurs culturels qui, en promouvant la rencontre des cultures à travers la musique, portent un message politique valorisant la diversité culturelle. En effet, depuis les années 1990, les déclarations sur la diversité culturelle et le dialogue interculturel font partie des politiques publiques de la culture. Ces déclarations invitent au décorticage de leurs enjeux aux cœurs des institutions culturelles qui les promeuvent aujourd’hui en France. Quelles en sont les mises en œuvre ou les impasses ? Comment articuler discours d’ouverture et pratiques professionnelles codifiées ? A partir du cas que constitue le programme des musiques transculturelles de la fondation Royaumont dans le Val-d’Oise, j’analyse les perceptions du monde sur lesquelles s’appuie une telle mobilisation de « cultures » dans une programmation musicale. Et en retour, je scrute les représentations que celle-ci façonne à travers ses actions. Il s’agit ainsi de comprendre comment les acteurs tentent de conjuguer d’une part une idée de tolérance et de rencontre entre les cultures avec, d’autre part, les impératifs spécifiques d’une programmation artistique, d’institutions, de politiques culturelles, d’artistes et des esthétiques diverses. 

 

  • Pourquoi avoir choisi ce sujet de thèse ?

Après avoir terminé mon master sur les musiques actuelles chez les amérindiens Wayana de Guyane française, j’étais à la recherche d’un nouveau terrain d’enquête. Je souhaitais continuer à creuser les interactions complexes qui lient musique et politique. Mon intuition qui m’avait incitée à prendre la musique comme une porte d’entrée pour comprendre des phénomènes de société, s’était révélée fructueuse. Je voyais alors la politique dans toutes les formes musicales : les choix musicaux à la radio, la patrimonialisation d’archives sonores, les clips de campagnes présidentielles, le choix de l’anglais pour les groupes de rock amateurs, la valorisation d’un territoire discriminé comme la Seine-Saint-Denis… Tout pouvait faire l’objet d’une analyse approfondie. Dans chaque cas se laissait pressentir que la mobilisation de musique peut à la fois être révélatrice d’enjeux de pouvoir et moteur de changements. Et puis, j’ai été embauchée un temps à la fondation Royaumont en tant que chargée de production et j’ai découvert le programme des musiques transculturelles et les discours et les actions de Frédéric Deval, le directeur artistique et fondateur de cette orientation artistique. J’y ai découvert tout ce qui se cache derrière une programmation ou une résidence artistique, les non-dits de la programmation artistique, les diverses négociations, les impératifs institutionnels et structurels auxquels n’accédaient que difficilement mes collègues ethnomusicologues qui enquêtaient au plus près des artistes. J’ai saisi l’opportunité pour interroger, d’un point de vue anthropologique, ce que pouvait signifier cette démarche de valorisation de la rencontre des cultures à travers une programmation musicale. 

 

  • Comment avez-vous effectué vos recherches ?

J’ai eu la chance de pouvoir très vite mettre en place une convention industrielle de formation par la recherche (CIFRE) permettant à la fondation Royaumont de m’embaucher pour une thèse, avec le soutien financier de l’ANRT et de la Fondation de France. Cette démarche a pu bénéficier également d’un partenariat inédit de longue date entre la fondation Royaumont et l’EHESS. L’ouverture dont a fait preuve la fondation Royaumont en me recevant en tant que chercheuse sans m’imposer de contrainte et en accueillant le regard distancié et critique que je développe dans cette thèse a été exemplaire. 

Mon travail de recherche y est fortement marqué par Frédéric Deval qui, par son goût pour les sciences sociales, m’intègre dans son processus créatif de direction artistique. Mais il est aussi marqué par sa subite disparition, le 27 mars 2016, un an après le début de ma thèse. Mon rôle à Royaumont évolue, et sans pouvoir vraiment le remplacer, je pallie de mon mieux la disparition de cet irremplaçable directeur artistique (et je pèse ici mes mots, puisqu’il n’a effectivement pas été remplacé), en accompagnant moi-même les artistes. Alors, mon implication dans la production, l’administration puis la direction artistique des résidences de créations musicales transculturelles me donne accès à un « poste d’observation » privilégié.

Ainsi, cette enquête ethnographique révèle les nombreuses situations de négociations, et me permet de mettre au jour les nombreux acteurs qui agissent depuis l’intérieur des institutions et qui sont rarement pris en compte dans l’analyse des musiques. Par une analyse détaillée de réseaux d’artistes et à travers leur représentation graphique, j’ai pu montrer de manière originale le réseau d’interconnaissance artistique qui fonde la programmation. Par une analyse musicale, je révèle les processus de création qui sont présentés par Deval comme transculturels… 

 

  • Quelle suite donner à votre thèse ?

Ecrite avant la crise sanitaire et les crises économique et sociale qui se profilent, cette thèse propose d’apprécier l’épaisseur humaine et sociale qui fait exister la création artistique. La question de la défense d’un idéal de la rencontre est d’autant plus d’actualité qu’il y a un risque aujourd’hui, au nom de la survie des institutions, de prioriser un repli sur de conjecturales « valeurs sûres » au détriment de l’originalité, de la diversité et de la créativité. L’enquête empirique ne s’arrête donc pas à ce manuscrit, mais se poursuit pour prendre acte des bouleversements que nous vivons tous actuellement. 

Par ailleurs, ce travail démontre que la fabrication de musiques ne peut être pensée, étudiée et analysée sans tenir compte des institutions qui les font exister et des acteurs qui, eux, font exister les institutions tout en en faisant une ressource d’action. Or il existe de multiples acteurs, diverses institutions, différentes formes d’organisations et des engagements distincts. Cette thèse décrit les stratégies d’une institution de prestige, liée à la haute bourgeoisie française, mais elle invite à interroger d’autres modalités d’action. C’est ce que j’ai fait déjà en parallèle en Seine-Saint-Denis avec le festival Villes des Musiques du monde. C’est aussi l’enquête que j’ai commencé dans mon premier postdoctorat à l’Institut Ari à Bayonne qui ambitionne de comprendre un festival militant basque (EHZ) qui fonctionne presque uniquement sur le bénévolat et l’autogestion depuis plus de vingt ans. Il s’agit ainsi d’explorer diverses façons dont notre société organise des évènements musicaux pour essayer comprendre ce que cela dit de notre société. C’est ce que j’appelle l’ethnomusicologie des institutions en échos à l’anthropologie des institutions. De manière plus générale, ces recherches appellent à une vigilance idéologique, puisque la programmation est une prise de parole, qu’elle institue des catégories et qu’elle construit des représentations sur le monde.

 

  • Racontez-moi votre parcours

Mon goût pour l’analyse des faits culturels et sociaux peut être retracé dans mon éducation qui opère dès l’enfance la rencontre entre une culture française et une culture allemande. Ensuite, malgré un bac scientifique option maths, ma curiosité pour comprendre à la fois la société dans laquelle je vis et d’autres modes de vie inspirants l’emportent. Ce qui m’amène à des études de sociologie et d’ethnologie à l’université de Nanterre tout d’abord, puis à l’EHESS pour le master. En parallèle, il y a la musique comme expérience fondamentalement sociale, comme occasion de partage, telle que me l’a transmise mon père musicien. La musique a donc toujours été au centre de mes enquêtes de terrain, dès la licence. 

Ensuite, il y a eu la rencontre avec Denis Laborde qui a dirigé mon mémoire de master et ma thèse. Sa démarche pragmatiste d’observation a influencé tous mes travaux de recherche, que ce soit chez les Wayanas d’Amazonie en Guyane française, dans mes observations des ateliers Demos de la Philharmonie ou dans le cadre de ma thèse. J’ai ainsi eu la chance de participer à l’émulation créative qu’il crée autour de lui, et dont je ne citerai rapidement ici que les Universités d’été franco-allemandes, la création de l’Institut de Recherche sur les Mondes de la Musique (IRMM) et le Festival Haizebegi à Bayonne… A nous étudiants, il nous rappelle d’observer dans les moindres détails la « fabrication de musiques », que nous parlions de l’Unesco, de procédures d’arraisonnement graphique, d’ontologies musiciennes, d’aménagement urbain, ou des musiques du monde et plus récemment de crise migratoire…

Enfin, j’apprécie toujours de naviguer à la croisée du monde universitaire et du monde culturel, entre enseignements (Université de Metz, Université de Nanterre), publications académiques et engagements dans plusieurs associations pour faire vivre la recherche en dehors des murs de l’université. Je suis ainsi trésorière adjointe de l’association socioculturelle issue de l’éducation populaire Villes des Musiques du Monde en Seine-Saint-Denis, coordinatrice de l’IRMM, et bénévole au festival Haizebegi... Je suis aussi engagée dans une démarche d’écriture alternative des sciences sociales à travers la réalisation d’une première création sonore.


 

  • Proposition musicale

Julie Oleksiak vous propose d'entrer dans le programme des musiques transculturelles de la Fondation Royaumont comme elle y est entrée en 2014, lors d'une série de concerts au festival d'Avignon. On y découvre cinq créations significatives du programme. Les vidéos de Thomas Rabillon ne présentent certes pas cette invisible complexité institutionnelle qui se cache derrière chaque création, mais elles ont le mérite de ne pas se focaliser uniquement sur le produit fini comme le font la plupart des vidéos promotionnelles. 


Interzone Extended - Royaumont hors les murs - Festival d'Avignon 2014
https://www.youtube.com/watch?v=s22M7eUSa1s

AlefBa - Royaumont hors les murs - Festival d'Avignon 2014
https://www.youtube.com/watch?v=uJ1U-n_mK9w

Sleep Song - Royaumont hors les murs - Festival d'Avignon 2014
https://www.youtube.com/watch?v=G3pXJBoqIrg

Oracion - Royaumont hors les murs - Festival d'Avignon 2014
https://www.youtube.com/watch?v=YXvEz2k8MgU

Wasl - Royaumont hors les murs - Festival d'Avignon 2014
https://www.youtube.com/watch?v=ML5TAfsFoE4

crédit photo : François Mauger

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