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Jiawen Sun a reçu le Prix d’Histoire sociale 2021 pour sa thèse sur les jeunes instruits pendant la Révolution culturelle chinoise

Prix et récompenses

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30/08/2022

Jiawen Sun est docteure au Centre d’études sur la Chine moderne et contemporaine. Sa thèse, intitulée Corps et politique dans la Chine contemporaine - Sociologie de la souffrance parmi les anciens jeunes instruits envoyés dans les fermes militaires pendant la Révolution culturelle, soutenue en décembre 2020 à l’EHESS, sous la direction de Michel Bonnin, a remporté plusieurs prix et distinctions, notamment :


Comment résumeriez-vous votre thèse en quelques lignes ?

Il y a plus d’un demi-siècle, lorsque la Chine était encore à l’époque maoïste, il existait un groupe de jeunes citadins qui, après avoir terminé leurs études secondaires et même primaires, fut envoyé à la campagne pour « rééduquer par les paysans pauvres et moyens-inférieurs ». La plupart de ces jeunes citadins sont retournés en ville entre 1 et 10 ans après leur arrivée à la campagne, cependant certains y sont restés pour poursuivre leur vie. Ces jeunes urbains, connus sous le nom de « jeunes instruits » (zhiqing 知青), étaient au nombre de 20 millions. Bien que minoritaires, on trouve parmi ces derniers une fraction des célèbres « Gardes rouges ».

Témoins des mouvements politiques de l’ère Mao et des réformes socio-économiques de Deng Xiaoping, le parcours de vie de cette génération des jeunes instruits s’accompagne de divers événements historiques majeurs de la Chine contemporaine, se déroulant parallèlement aux multiples transformations continues de structure sociale. Cette thèse examine les souffrances corporelle et mentale vécue par cette génération en tant que victimes des mouvements politiques, des réformes économiques et de l’amnésie structurelle, avec notamment les implications politiques et les racines historiques de ces traumatismes collectifs.

Des jeunes instruits à la campagne du Yunnan étudient ensemble les citations du président Mao devant leur dortoir (photographié dans le canton de Huangcaoling, district de Yuanyang, préfecture autonome hani et yi de Honghe, province du Yunnan en 1971).


Affiche de propagande du Mouvement d’envoi des jeunes instruits à la campagne pendant la Révolution culturelle (auteur inconnu)


Pourquoi avoir choisi ce sujet de thèse ?

Mon père était un ancien jeune instruit. En 1971, à l’âge de 17 ans, il a été envoyé de sa ville natale, une ville au climat agréable et relativement développée du sud de la Chine, vers la région vierge de Grand Khingan – l’un des endroits les plus froids de Chine, avec des températures hivernales de -40 à -50 degrés. Depuis lors, il a vécu en Mandchourie toute sa vie. J’ai grandi en l’entendant, lui et ses amis, parler de cette expérience, notamment leur douleur, leur joie, leur tristesse, leur impuissance et leur nostalgie. Malheureusement, à mesure que cette génération vieillit, leurs histoires disparaissent aux yeux du public. Ce qu’ils souhaitent le plus - reconnaissance et compensation (matérielle et morale) de la part du gouvernement et du public - semble également être à jamais hors de portée. Une caractéristique distinctive de la logique de l’histoire politique chinoise contemporaine est que les « erreurs » du passé sont rapidement occultées et consciemment éliminées du discours public. Afin de lutter contre cette amnésie structurelle, et de rendre l’histoire de cette génération de mon père plus visible et mémorisable, j’ai donc choisi ce sujet de recherche. En ce sens, le thème porte en lui ma responsabilité académique en tant que sociologue et mes réflexions sur mon histoire familiale personnelle en tant qu’enfant d’un jeune instruit.


Comment avez-vous effectué vos recherches ?

J’ai commencé mes recherches sur la génération des jeunes instruits lors de mon master. À l’époque, j’ai choisi le groupe que je connaissais le mieux - mon père et ses amis (qui étaient aussi des jeunes instruits du Grand Khingan) - en tant qu’objet de recherche. J’ai mené des entretiens semi-directifs, en face à face ou à plusieurs, en demandant aux personnes interrogées de raconter chronologiquement les événements significatifs dans leur parcours de vie liés à leur « descente à la campagne » ainsi qu’à leur identité de jeune instruit, en particulier les souffrances physiques et mentales qu’ils ont subies. J’ai ensuite procédé à une analyse sociologique de leur histoire orale que j’avais recueillie. Au cours de mon doctorat, j’ai élargi le champ de mes recherches et choisi les jeunes instruits des fermes militaires comme sujets de recherche, j’ai effectué plusieurs voyages dans diverses grandes villes de Chine (ex. Pékin, Shanghai, Chengdu, Chongqing et Kunming) pour mener des recherches sur le terrain. Par ailleurs, j’ai développé mes méthodes de recherche, en plus des entretiens, j’ai également adopté des méthodes anthropologiques d’observation participante, ainsi que des recherches comparatives et documentaires. En analysant les divers matériaux collectés, j’ai adopté une approche combinant des théories pluridisciplinaires, y compris, mais sans s’y limiter : la sociologie du corps, l’histoire des mentalités, l’anthropologie médicale, les sciences politiques, la philosophie, la psychologie et la psychanalyse. Ceci est dû au fait qu’au cours de la rédaction de la thèse, je me suis rendue compte que je voulais non seulement clarifier et interpréter les expériences traumatisantes de cette génération, leurs implications sociologiques et leurs conséquences politiques, mais aussi explorer une série de questions à plus grande échelle, au niveau de l’historicité : comment un événement historique aussi traumatisant, qui a touché toute une génération, a pu se produire, comment empêcher qu’une telle tragédie humaine ne se reproduise, et ce qu’un(e) chercheur(se) peut faire dans ce processus.


Plusieurs jeunes instruites pendant la guerre sino-vietnamienne (17 février-16 mars 1979). (S. l. n. d.)

Une jeune instruite dans la province du Yunnan récolte du caoutchouc. (S. l. n. d.)


Quelle suite donner à votre thèse ?

Lors de la soutenance de ma thèse, mes recherches ont été approuvées à l’unanimité par les membres du jury et, avec leurs conseils et leurs encouragements, j’ai postulé pour une série de prix de thèse, et j’en ai remporté la plupart. Parmi eux, le Prix d’Histoire sociale 2021 attribué par la Fondation Mattei Dogan et la FMSH que j’ai reçu m’a donné l’occasion de rencontrer M. Rouleau, le responsable des Éditions de la Maison des sciences de l’homme, qui a accepté de publier ma thèse. Je suis en train de réviser mon manuscrit et j’espère le publier officiellement l’année prochaine. De plus, cette année, j’ai obtenu une bourse de courte durée de l’École française d’Extrême-Orient (EFEO) pour mener à bien un projet de recherche postdoctoral intitulé Création d’une archive documentaire et étude bibliographique (de 1977 à nos jours) sur le mouvement d’envoi des jeunes instruits à la campagne en Chine (1953-1980) et sur la « génération perdue ». J’ai également eu la chance d’enseigner à l’Inalco, en dispensant un cours sur la culture chinoise moderne et contemporaine. Toutes ces diverses pratiques académiques, ainsi que mes préoccupations concernant l’amnésie structurelle omniprésente dans l’histoire politique chinoise contemporaine mentionnée ci-dessus, orientent ma réflexion de suivi et mes futurs plans de recherche : Quel héritage politique de l’ère maoïste peut-on trouver dans la Chine contemporaine ? Comment pouvons-nous nous inspirer de l’histoire pour le développement futur de la société chinoise ? Et, sur le plan académique, comment explorer une nouvelle manière d’écrire la mémoire historique, pour que la souffrance propre au peuple chinois à l’époque de Mao puisse subtilement devenir une part importante d’une histoire plus large de la souffrance humaine ? Telles seront les questions auxquelles je tenterai de répondre dans ma future carrière de chercheur.


Racontez-moi votre parcours

En effet, mon parcours de recherche a connu quelques tournants importants. Dès mon plus jeune âge, j’ai montré un talent et des capacités en mathématiques et en sciences naturelles, donc après l’examen d’entrée à l’université, j’ai intégré le Département de mathématiques de l’Université de Zhejiang, qui est l’un des meilleurs départements de mathématiques de Chine. Lors de ma dernière année à l’université, j’ai réalisé que j’étais attirée par les sciences sociales et humaines afin de comprendre davantage la société humaine et les mécanismes et les normes qui la régissent. Ainsi, après avoir obtenu mon diplôme de premier cycle, j’ai choisi d’être recommandée (dispensée d’examen) au Département de sociologie de l’Université normale de la Chine de l’Est (ECNU) à Shanghai pour y étudier en vue d’une maîtrise. C’est également au cours de mes études à l’ECNU que j’ai appris le français comme deuxième langue étrangère, que j’ai réussi les examens et obtenu les qualifications linguistiques pour étudier pour un doctorat en France. Heureusement pour moi, au cours de ma dernière année à l’ECNU, mon futur directeur de thèse, le professeur Michel Bonnin, l’un des plus grands spécialistes mondiaux de l’étude du mouvement des jeunes instruits en Chine, est venu à Shanghai pour une visite. Après avoir pris connaissance de mon sujet de recherche, il a accepté de superviser ma thèse de doctorat. Après mon arrivée en France, je me suis inscrite au Centre d’études sur la Chine moderne et contemporaine (CECMC) de l’EHESS pour commencer ma carrière de doctorante.  

En parallèle, je n’ai jamais perdu mon intérêt pour les mathématiques et les sciences. Je suis aussi actuellement traductrice indépendante. Ces dernières années, j’ai publié plus d’une dizaine de traductions scientifiques en Chine, tant du français au chinois que de l’anglais au chinois.






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