Historienne de l’architecture et de la ville, Mme Heliana Angotti-Salgueiro, Brésilienne, a étudié à l’EHESS entre 1986 et 1993 ; elle y a préparé son doctorat en histoire, option histoire de l’art, et soutenu sa thèse en juin 1992. Cette thèse a obtenu le prix de la Meilleure thèse de l’année et a été publiée en 1997 aux Éditions de l’EHESS sous le titre La casaque d’Arlequin. Belo Horizonte, une capitale éclectique au 19e siècle. Juste après, grâce à une bourse de post-doctorat de la Getty Foundation, elle a effectué une partie de son post-doctorat à l’École avant de rentrer au Brésil. |
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Pourquoi avez-vous choisi l’EHESS ? Après l’obtention au Brésil d’un master (Mestrado) en histoire, j’ai choisi l’EHESS avant tout par affinité avec les méthodes d’enseignement qui faisaient alors son originalité : l’ouverture à l’interdisciplinarité et la possibilité de choisir ses séminaires. J’ai apprécié cette liberté, cette absence de frontières rigides entre les disciplines. Il arrivait aussi que plusieurs directeurs d’études de disciplines différentes se retrouvent dans un même séminaire ; j’ai eu la chance de côtoyer à cette époque Marcel Roncayolo, Pierre Nora, Roger Chartier, Mona Ozouf, François Furet, Hubert Damisch (directeur de ma thèse), Jean-Louis Cohen, Jacques Revel et Bernard Lepetit, pour ne citer qu’eux. Comme étudiants, nous avions d’innombrables opportunités d’explorer et de discuter les divers domaines de l’histoire et des sciences sociales, le dialogue entre les chercheurs était constant. La présence de nombreux chercheurs invités d’autres pays, en dialogue avec nos enseignants, ouvrait plus encore nos possibilités d’articuler sous différents aspects nos études de cas ; c’est ce qui m’a permis d’avoir cette ouverture dans mon travail de recherche associant l’histoire de l’art à l’histoire urbaine, l’histoire culturelle à l’histoire de l’architecture et de l’urbanisme, et intégrant d’autres apports disciplinaires en fonction des thèmes, choisissant et diversifiant les approches.
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Quel a été votre parcours professionnel après l’EHESS ? Je n’ai plus quitté le monde de la recherche ; en cela, mon passage à l’EHESS a été déterminant ; je dois dire que le prix de la meilleure thèse que j’ai eu l’honneur de recevoir m’a beaucoup motivée à poursuivre dans cette direction. Ce goût du croisement des approches et des disciplines se retrouve dans tout mon parcours professionnel comme chercheur, ou commissaire d’expositions, en dépit des difficultés de la carrière de professeur au Brésil où, d’une certaine manière, comme l’a écrit Gérard Cogez sur les écrivains voyageurs du XXe siècle, je crois avoir payé le prix de la distance critique à laquelle le déplacement (en France) m’a donné accès. Après deux post-doctorats financés par la Fondation Getty et la FAPESP (Fundação de Amparo à Pesquisa do Estado de São Paulo), j’ai travaillé pour des institutions publiques ou privées au gré des projets approuvés - universités en France, au Brésil, centres de recherche, musées aux États-Unis… proposant et menant à bien mes recherches dans plusieurs domaines autour des relations culturelles entre la France et le Brésil - par exemple, sur la presse urbaine illustrée (études de séries comparées des caricatures de Daumier et de Araújo Porto-Alegre au XIXe siècle). En 1999, après avoir organisé un grand colloque international sur le paysage à São Paulo, je me suis tournée vers la géographie en me consacrant à l’organisation et l’étude des archives de Pierre Monbeig à l’Institut d’études brésiliennes de l’Université de São Paulo (IEB-USP). Ensuite, l’intérêt pour les représentations iconographiques du pays en géographie, m’ont amenée à étudier l’œuvre du photographe français Marcel Gautherot, dont on ne savait pratiquement rien à l’époque. Grace à une bourse de la Getty Foundation, j’ai mené cette recherche, entre 2004-2007 avec une collègue, également passée par l’EHESS, Lygia Segala, anthropologue et professeure à l’Université Fluminense de Rio de Janeiro. Ce travail a servi de base à une grande exposition internationale des photos de Marcel Gautherot et de photographes de sa génération, financée par la Fondation Armando Alvares Penteado de São Paulo, dont j’ai été la commissaire générale et l’éditrice d’un catalogue de référence sur le photographe et son temps. Une fois encore, j’ai travaillé sur deux échelles temporelles et deux mondes, en les associant : le scénario français des années 1930 vécu par Gautherot, et sa production photographique au Brésil, à partir des années 1940 et 1950. En 2004 j’ai eu l’ honneur d’être professeur titulaire de la chaire brésilienne de sciences sociales Sergio Buarque de Holanda, auprès de la Maison des sciences de l’homme, pour diffuser l’histoire culturelle brésilienne à partir des sujets interdisciplinaires inclus dans un projet, dont le titre parle par soi-même: « Image, langage, voyage : représentations du Brésil. Expériences du déplacement – acteurs, lectures, pratiques ». Les institutions d’accueil de mes séminaires entre 2004 et 2008 ont été les universités de La Rochelle, Poitiers et François Rabelais à Tours. La « méthode » EHESS était présente dans mes séminaires de même que les histoires croisées entre la France et le Brésil dans plusieurs domaines, mais avec un axe constant : les modalités de transfert et de transformation des « modèles » artistiques et culturels à travers les expériences de déplacement et l’appropriation des références par des acteurs sociaux.
Sur quoi travaillez-vous actuellement ? Depuis 2014 je travaille sur un projet de recherche en histoire de l’urbanisme à l’Université Presbytérienne Mackenzie à São Paulo, sur « Acteurs et formes de l’internationalisation des lectures et de la profession d’urbaniste ». Il s’agit d’une étude sur la bibliothèque de l’ingénieur brésilien, Luiz de Anhaia Mello, le plus important théoricien des Problèmes d’urbanisme à São Paulo (titre d’un de ses livres, en 1929), en vue d’écrire sa biographie intellectuelle. Luiz de Anhaia Mello a été professeur à l’École Polytechnique (São Paulo) et fondateur de l’École d’Architecture et urbanisme de l’USP en 1948. J’ai présenté cette nouvelle recherche en juin dernier à l’EHESS, dans le cadre du séminaire du professeur Afrânio Garcia. Les textes de l’ingénieur, dont la plupart ont été publiés dans des revues spécialisées (entre 1930-1960), sont étudiés à la lumière des marginalia des livres de sa bibliothèque personnelle, une des rares de ce genre conservées. Histoires croisées entre ses textes et ceux d’auteurs français et surtout nord-américains nous informent sur la construction d’une historiographie des métropoles (cas de São Paulo) alors en pleine croissance. Pour cette recherche, nous nous sommes inscrits à la fois dans les lignes d’une histoire intellectuelle de la lecture et dans le cadre de l’histoire de l’urbanisme. Cette approche est encore très marquée par ma formation française. L’étude de ce cas vise à montrer le dialogue et la circulation des concepts et des idéaux d’une ville « humaniste » à l’échelle internationale, dans ces années-là. J’ai aussi des projets en cours de développement avec d’anciens collègues de l’EHESS, comme la professeure Hélène Jannière, de l’Université de Rennes 2, autour de son groupe de recherches internationales, “Mapping Architectural Criticism, XX and XXI centuries”.
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