Guillaume Carré, historien spécialiste du Japon au centre Chine Corée Japon (CCJ) et intervenant lors de notre événement "Dessine-moi les sciences sociales ?", revient sur sa découverte de l'Histoire à travers les bandes dessinées qu'il lisait dans sa jeunesse.
"Lorsque j'ai été contacté par les éditions Glénat vers 2010, pour participer comme conseiller au lancement d'une nouvelle collection de bandes dessinées sur les personnages historiques, un précédent évoqué par la responsable éditoriale, Sophie de Closets, réanima chez moi de plaisants souvenirs qui avaient marqué mon enfance. Il s'agissait de L'Histoire de France en bande dessinée publiée par Larousse dans les années 1970, dont j'attendais avec impatience la parution de chaque fascicule. Ces récits animés et colorés rassasiaient pleinement un goût naissant pour l'Histoire, et par la suite, j'ai reconnu avec plaisir les dessinateurs les plus talentueux dans des œuvres de fiction que j'ai lues alors avec un plaisir redoublé, comme le Vagabond des limbes de Julio Ribera.
Mais ce n'est que bien plus tard que j'ai réalisé que l'artiste qui m'avait le plus impressionné, par ses planches sur Charlemagne et les croisades, n'était autre que... Manara ! Entretemps, c'est surtout comme dessinateur de nymphettes aussi délurées que dénudées qu'il avait accédé à la notoriété, et cet aspect de son œuvre me fit considérer d'un œil neuf d'adulte une image qui avait fait forte impression sur mes six ans (j'évoque de mémoire) : un cavalier franc caparaçonné de pieds en cap et au rictus sadique, poussant à coups de fouet vers l'exil une belle captive saxonne (poverina !), dont le visage émouvant exprimait une souffrance désespérée et voluptueuse. Une scène équivoque mais suffisamment impressionnante pour graver à jamais dans mon esprit de bambin la tragédie de la soumission de la Saxe, résultat somme toute remarquable pour un lecteur enfantin.
Manara a toujours su dessiner les femmes, même dans les chastes pages de Larousse, mais c'est surtout la dimension épique de ses compositions qui me séduisait à l'époque, un trait où passait quelque chose de l'Arioste et de la Jérusalem délivrée. Des intentions politiques aussi : ce n'est peut-être pas par hasard qu'il avait illustré les épisodes de la Commune ou de la Terreur (avec un Robespierre qui ne s'en tirait pas si mal), surtout dans le climat trouble de l'Italie de l'époque. Puissance de l'image, puissance du message... Autant dire que bien des années plus tard, quand on me proposa de prendre part à un projet similaire d'album, avec un dessinateur italien en plus, je ne me fis pas prier deux fois !"
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