Michel Périllat, prix du meilleur mémoire 2021 en vue du Diplôme de l’EHESS
Michel Périllat a reçu le prix du meilleur mémoire 2021 en vue du Diplôme de l’EHESS pour son mémoire « De l’adhésion à la Révolution nationale au non-consentement. Itinéraire d’un notable sous le régime de Vichy (Haute-Savoie 1941-1944) », sous la direction de Julien Blanc.
Comment résumeriez-vous votre mémoire en quelques lignes ?
Le sujet du mémoire est l’analyse du comportement d’un notable - et de son fils - sous le régime de Vichy et l’Occupation, de 1941 à 1944.
Agent immobilier, ancien directeur d’une succursale de la banque Laydernier, il est d’abord maréchaliste, par fidélité d’ancien combattant de la Grande Guerre, et ses idées sont en accord avec certains aspects de la Révolution nationale. Il exerce avec conviction la fonction de directeur de la Défense passive de sa ville, Annemasse, ville de Haute-Savoie frontalière avec la Suisse. Attentiste, son attachement au régime s’effrite sous le poids des événements - occupation de la zone sud par les Italiens en décembre 1942, instauration du STO en février 1943 et arrivée des Allemands en septembre 1943.
En juillet 1943, son fils, élève-maître au lycée d‘Annecy, insouciant et épris de liberté, s’enfuit des Chantiers de la Jeunesse et plonge dans l’illégalité. Le notable, jusque-là « collaborateur involontaire », entre progressivement dans des formes de désobéissance : il utilise sa position de notable et ses relations pour aider son fils à se cacher et pour lui éviter un départ éventuel en Allemagne. L’objectif du travail est d’éclaircir les stratégies personnelles, les capacités d’adaptation et d’invention des acteurs face aux contraintes, leurs contradictions, dans un contexte évolutif.
Promotion 1941-1944
Pourquoi avoir choisi ce sujet de mémoire ?
Il s’agit de ma famille : ce notable, Claude Périllat, est mon grand-père, et son fils élève instituteur est mon père. C’est la découverte, à la mort de celui-ci en 2013, d’une correspondance – 525 lettres de 1941 à 1948 - et de son journal intime qui m’a plongé dans ce sujet. J’ai voulu préparer une édition de ces lettres qui me semblaient posséder une relative importance historique, et pour les situer dans leur contexte, j’ai lu et étudié l’histoire de ces « années troubles ». Les comportements de mon grand-père me paraissaient confus, mais les travaux de Pierre Laborie m’ont permis de comprendre l’ « ambivalence » et le « penser-double » présents dans ses actions et celles de son fils.
J’ai ressenti alors la nécessité d’approfondir mon travail sous la direction d’un historien, et j’ai eu la chance d’être accepté comme étudiant par Julien Blanc, spécialiste de la Résistance : la possibilité d’être guidé par lui et d’engager une recherche dans le cadre du diplôme de l’Ecole ont été des opportunités formidables.
Comment avez-vous effectué vos recherches ?
J’ai commencé ma recherche aux Archives Municipales d’Annemasse – et ressenti fortement « le goût de l’archive » (Arlette Farge) en découvrant les nombreux documents de la Défense passive écrits et signés par mon grand-père. J’ai ensuite largement puisé dans les fonds des Archives Départementales de la Haute-Savoie - rapports des préfets, courriers sur la Défense passive, sur les Chantiers de la Jeunesse, le STO, la surveillance de la jeunesse, rapports de police, archives du lycée Berthollet, etc. Les Archives Nationales m’ont permis d’entrer dans la jungle des décrets concernant l’enseignement, la jeunesse et le STO ; les fonds de Service Historique de la Défense ont complété certaines connaissances.
La correspondance exprime principalement l’ordinaire, le quotidien, et pour comprendre les trajectoires, les comportements, les réactions, les décisions qui y sont évoquées, il est nécessaire de changer d’échelle : je suis dans une démarche micro-historique, et l’étude de cas exige de passer du particulier au général, d’être toujours attentif au contexte et à une chronologie précise : c’est par un incessant croisement des sources - lettres et journal intime, lectures et archives - que l’histoire singulière de ma famille a pris du sens, inscrite dans l’histoire collective.
Ma bibliographie s’est ainsi considérablement élargie au fur et à mesure du travail et plusieurs historiographies s’interpénètrent : histoire locale de la ville d’Annemasse, de la Haute-Savoie, histoire de la Résistance dans ce département ; histoire du régime de Vichy, de la guerre et de l’Occupation ; histoire de la Grande Guerre, parce que pour comprendre les agissements du notable, il fallait revenir à son enfance et à sa jeunesse… La question des comportements a été une part non négligeable du travail - Pierre Laborie, François Marcot, Philippe Burrin, Anne Verdet, Stanley Hoffman, Marc Olivier Baruch, etc.
Les rencontres avec Julien Blanc m’ont considérablement aidé à trouver la juste distance avec mes sujets, entre affectivité et recul critique ; sa réflexion, son apport de références, son attention m’ont porté et enthousiasmé.
Quelle suite donner à votre mémoire ?
Le plaisir de la recherche et de la découverte, la stimulation qu’apporte l’écriture de l’histoire de sa propre famille – avec ses émotions, ses bouleversements, ses remises en question –, ainsi que les encouragements de Julien Blanc, Emmanuel Saint-Fuscien et Marc Olivier Baruch, m’ont entraîné en master 2 ! La correspondance – dont 110 lettres de camarades de lycée –me paraissait porteuse d’un autre sujet, plus large et plus passionnant encore : la jeunesse sous Vichy, à travers le parcours des 34 élèves-maîtres des promotions 1940-1944 pendant l’Occupation.
Envoyés au lycée quand Vichy ferme les écoles normales, ils affrontent de multiples contraintes - Chantiers de la Jeunesse qui interrompent leurs études, STO et risque de départ en Allemagne, occupation du lycée par les Allemands. Ce sont alors des trajectoires diverses, au gré de la protection ou non de l’institution scolaire, et des bifurcations imprévues : fuites en Suisse, planques en montagne dans la famille ou dans des organismes protecteurs sous de fausses identités, engagements aux maquis pour combattre, etc.
Je mène cette étude de cas, la prosopographie d’une génération qui éclaire des comportements spécifiques liés à la région – la moitié des élèves-maîtres est en rapport avec la Résistance -, sous la double direction de Julien Blanc et d’Emmanuel Saint-Fuscien. J’ai obtenu une aide à la recherche du département de Haute-Savoie, parce qu’une telle étude sur le lycée Berthollet n’a jamais été faite. Je recherche les familles de ces élèves qui m’apportent témoignages et documents – ou méconnaissance du passé de leur père.
J’ai validé cette année les séminaires passionnants du master 2 et je me consacre maintenant à l’écriture du mémoire.
Racontez-moi votre parcours
J’ai vécu en Haute-Savoie jusqu’à 19 ans et suis venu à Paris pour faire des études d’histoire et d’archéologie, en 1970. Malgré mon intérêt, je les ai pourtant rapidement abandonnées pour m’engager dans des pratiques artistiques (théâtre, sculpture, photo) souvent teintée d’Histoire. Puis j’ai travaillé dans un lycée à l’organisation d’expositions et de rencontres entre artistes et élèves, ce qui m’a amené une première fois à reprendre des études – ma maîtrise d’arts plastiques était formulée ainsi : « un artchéologue en quête d’images » et ma création était un chantier de fouilles fictif, où des pierres-imagées révélaient des moments de mon enfance. Ayant obtenu CAPES et agrégation, j’ai exercé le métier d’enseignant en collège et lycée (Lycée Claude Bernard, Paris 16e) avec un bonheur intense !
Reprendre des études une nouvelle fois, à l’âge de la retraite, parce qu’on est porté par la passion dans un projet personnel, est une expérience inimaginable. Les séminaires méthodologiques m’ont permis de découvrir l’évolution de la discipline historique et sa place dans les sciences sociales et d’acquérir la rigueur et la discipline nécessaires au métier d’historien. Surtout, rencontrer des enseignants-chercheurs et découvrir leur travail en cours est d’une très grande richesse, qui ouvre de vastes horizons et réflexions, particulièrement pour un chercheur impliqué « au ras du sol ».
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