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Raconte-moi ta thèse #14 | L'identité des jeunes et leurs expériences en Europe par Alessandra Polidori

Raconte-moi ta thèse

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02/11/2022

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Alessandra Polidori est doctorante en cotutelle à l'Université de Pérouse (Italie) et à l'EHESS, elle travaille sous la direction de Massimo Cerulo et Jean-Bernard Ouéodraogo. Sa thèse porte sur l'expérience de la mobilité à travers le programme Erasmus+ en utilisant la méthodologie de l’entretien compréhensif et de l’autoethnographie pour saisir le sens du séjour Erasmus à partir des paroles des jeunes. 


« Tous les choix d'objets sont, d'une certaine façon, “autobiographiques” » écrit Gerard Mauger , le sujet de ma thèse est particulièrement cohérent avec cette affirmation : puisque après deux expériences Erasmus particulièrement marquantes, j'ai décidé d'étudier le sens de la mobilité pour les jeunes. 

De la littérature contemporaines sur la sociologie de la jeunesse il ressort comment la crise économique et les grandes transformations qui ont investi la société depuis les années 1980 ont affecté, notamment en Italie, la programmation du futur. 

Partant de ces lectures véridiques qui mettent en lumière les limites d'une génération en difficulté, je me suis demandée quelle était la capacité d'agency des jeunes et si le choix de participer à une expérience Erasmus pouvait en quelque sorte être une stratégie pour améliorer sa condition. A partir de là, d'autres questions ont surgi : quelles sont les limites qui jouent dans le choix de la mobilité ? Quelle est la capacité d'action du jeune par rapport à ces limites ? Quel est le sens de la mobilité par rapport à la programmation du futur ? Quelles émotions sont ressenties au cours de l'expérience ? Quels seront les héritages de la période à l'étranger ? Que signifie vivre une expérience Erasmus dans la métropole parisienne ou dans la petite ville de Pérouse ? 

De là, nous pouvons déjà comprendre le sens de la citation d’ouverture : ma recherche est strictement liée à mon expérience en tant que jeune italienne qui, après un Erasmus à Paris, a vu l'opportunité de rester à étudier à l'étranger. En même temps on comprend la difficulté à « doser » mon expérience une fois sur le terrain. 

Pour répondre aux questions de recherche j'ai donc choisi d'interviewer des jeunes en séjour Erasmus à Paris (zone du 6° arrondissement) et à Pérouse. La première partie des entretiens dans la ville de Pérouse s'est déroulée en 2020 - 2021 avec un retard évident dû à la pandémie de Covid-19. Pour la deuxième partie j'ai choisi de participer à un troisième Erasmus dans la ville de Paris où j'ai vécu sur le campus d'Aubervilliers en rencontrant des jeunes que j'ai pu interviewer. 

J'ai choisi d'utiliser la méthode de l'entretien compréhensif pour permettre aux jeunes de s'exprimer librement. Au fur et à mesure que je procédais à la collecte des entretiens, j'étais souvent dans une situation d'inconfort car il était très difficile de maintenir le statut de chercheuse détachée de l'objet puisque cela me concernait directement. Grâce aussi à l'aide de séminaires techniques dispensés par l'EHESS sur l'entretien, j'ai compris que ma proximité avec l'objet pouvait être source de force et j'ai progressivement appris à la calibrer. 

J'ai donc laissé l'empathie s'accumuler au cours des entretiens et, dans la phase d’analyse, j'ai recours à mon expérience personnelle pour l'interprétation, en tenant toujours un journal de terrain pour suivre mon travail et m'assurer que les considérations apportées par la ma connaissance du sujet ça ne ne prenaient pas le relais.

 J'ai alors choisi de recourir à l'arsenal théorique de Pierre Bourdieu tant pour ses réflexions sur l'auto-analyse du chercheur que pour les catégories de capital et d'habitus. 

Une correspondance définitive a souvent été établie entre les capacités économiques de la famille d'origine du jeune et la possibilité de participer au programme Erasmus. Je crois que la situation est plus complexe : certes la valeur du capital économique est indéniable mais celui-ci prend différentes formes (dont il peut être produit par le jeune lui/elle-même) et il est souvent flanqué du capital social et culturel du jeune au moment de la décision de partir.

Je suis donc en train de chercher au fil des entretiens d'autres formes de capital mises en lumière par les récits des jeunes. Pour ce qui concerne les héritages de l'expérience Erasmus, j'ai trouvé la notion d'habitus très utile car si on y pense comme une carte formée par des sédiments d'expérience pour s'adapter et réagir au contexte, il est clair qu'un séjour Erasmus permet précisément la stratification de ces couches d'expérience du monde et de l’indépendance qui permettront au jeune de savoir se déplacer sur le territoire européen, et peut-être pas seulement, le lendemain il/elle ira chercher du travail.

Certes, dans cette situation, les limites structurelles données par l'origine sociale et géographique jouent encore un rôle très important dans la définition des possibilités de chaque personne, mais ils ne définissent pas nécessairement le parcours du jeune de manière définitive. En effet, les jeunes ont des capacités d’agency en choisissant de participer à une expérience à l'étranger qui peut leur laisser des apports nécessaires et intéressants tant en termes de compréhension de l'autre et de sa culture qu'en termes d'une plus grande propension à la mobilité en fonction de ses propres aspirations. Il me semble donc juste de conclure par les mots d'un jeune étudiante italienne en Erasmus à l’EHESS : 


"Changements ? Regarde… moi je suis partie que ma perspective était complètement différente, c'est-à-dire que je voulais rester ici pendant neuf mois, commencer et finir, revenir plusieurs fois possible, il y avait peu de leçons ici, peu de choses… je voulais rester avec mon petit ami, rentrer et vivre avec lui. Mais maintenant à présent... euh de cette prise de conscience de la chose que je me dis que les horizons ne sont jamais trop larges, c'est-à-dire dans le sens que avant j'avais cette vision très fermée, très aussi limitant pourtant à rentrer, continuer ma vie là-bas… au contraire c’est juste, c’est juste de se jeter dedans !"


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